mardi 5 novembre 2019

Jérôme Garcin : Le dernier hiver du Cid (N°1 - oct 2019)

Jérôme Garcin : Le dernier hiver du Cid - 2019, Gallimard - roman français

  

 Fameux animateur de l’émission le Masque et la Plume, fameux ami des chevaux, fameux écrivain, Jérôme Garcin est un mélancolique qui a été très marqué par la perte  d’êtres chers, morts jeunes : son père ( d’où son livre : La chute de cheval) , son frère jumeau mort d’un accident à 6 ans devant ses yeux (d’où son livre : Olivier). Un critique de Lire dit : « Il excelle lorsqu’il rend hommage aux âmes enfuies ». Lui-même écrit : « Tous ces morts m’accompagnent, m’aident et me soutiennent ».

Dans ce récit, c’est un peu différent car il nous parle de son « très beau-père », Gérard Philipe, qu’il n’a bien sûr pas connu puisque mort  le 29 novembre 1959 à l’âge de 36 ans alors que l’auteur avait 3 ans et ne connaissait bien sûr pas sa future femme Anne-Marie, fille de Gérard Philipe. L’auteur, avec son écriture fluide, émouvante dans des chapitres courts, « nous rejoue la scène des adieux » et écrit : « Gérard était en moi depuis toujours bien avant de rencontrer sa fille. J’ai été bercé, enfant, par sa version du Petit Prince…Je vis avec sa présence lumineuse ». C’est avec l’assentiment de sa femme qu’il écrit ce récit, ayant eu accès évidemment aux archives, aux souvenirs des proches dont la mère de Gérard, décédée en 1990, aux médecins, aux amis.
Que d’émotions dans ces pages : nous suivons durant l’été 1959 la petite famille à Ramatuelle où il est un père merveilleux et un mari attentionné qui commence à avoir des douleurs puis le retour à Paris rue de Tournon, la consultation des médecins qui détectent un cancer du foie,   l’intervention chirurgicale à la Clinique puis le verdict : le cancer sans remède, les espoirs fous, les dernières semaines agitées, les derniers jours plus sereins, la pudeur des obsèques dans le petit cimetière de Ramatuelle.  Anne, la femme de l’acteur, choisit de cacher la gravité de ce cancer à son mari et à tout le monde : « Aucun visiteur ne sait donc qu’il s’assied au chevet d’un condamné ». Chaque visiteur, acteur ou auteur ou metteur en scène se remémore les moments vécus avec Gérard et tous les films, toutes les pièces de théâtre nous sont rappelés soit une trentaine de films, des dizaines de pièces.
Gérard Philipe a réinventé « le héros à la française » à la sortie de la guerre. C’était un homme « simple et gai, clair et vif, svelte et lumineux » (Match). Il incarnait la beauté, le talent et la jeunesse. Jérôme Garcin écrit tout cela « avec sensibilité et une grâce infinie ».

Nathacha Appanah : Le ciel par-dessus le toit (N°2 - oct 2019)

Nathacha Appanah : Le ciel par-dessus le toit - Gallimard, 2019 - roman français

  Le ciel par-dessus le toit

 Natacha Appanah est une auteure mauricienne qui a écrit « Tropique de la violence » en 2016 et a obtenu pour ce roman une quinzaine de prix littéraires. Elle dit avoir « la hantise de l’univers carcéral » et a voulu écrire ici un texte sur l’enfermement « à travers le personnage de Loup, presque 18 ans, jeune pas tout à fait comme les autres, sensible, rêveur, qui se retrouve dans une prison pour mineurs ». Mais aussi  à travers la mère de Loup, Phénix, qui « n’accepte pas ce qu’elle est » : « l’enfermement se traduit dans la façon dont l’amour est transmis » dit l’auteur.

 Pourquoi Loup est-il incarcéré ? : la veille, sans permis, il a pris la voiture de sa mère et a provoqué un accident. Il voulait revoir sa grande sœur Paloma qui a fui le foyer familial, dix ans auparavant, en lui disant : « Je reviens te chercher très vite ».
La mère, Phénix, tatouée de partout pour fuir son corps, a élevé seule ses enfants très durement, sans aucune tendresse. On le comprend mieux dans le chapitre décrivant son enfance : très belle et chantant à merveille, elle fut exhibée par ses parents « comme une lolita » et ne supportait pas ces spectacles. A l’adolescence, elle a craqué au point de devoir passer un long séjour en hôpital psychiatrique pour « tenter de s’extirper de sa prison intérieure »
L’accident de Loup va faire revenir chaque personnage aux sources et leur « faire pardonner tout le mal qu’on leur a fait pour mieux s’en débarrasser ».
L’auteur explique le titre de ce roman : elle aime ce poème de Verlaine, écrit en 1873 : « Le ciel est par-dessus le toit, si bleu, si calme ». Verlaine l’a écrit en prison. « Ce poème me semble d’une beauté absolument parfaire, ciselée, cristalline » dit-elle. Elle se demande « Comment, en prison, on peut accéder à ce genre de souffle, de légèreté, de beauté.  J’ai imaginé pour mes personnages un dehors, une autre beauté qui les ferait se sentir moins enfermés ».
Grâce à sa merveilleuse écriture, précise, juste, poétique, intimiste, ce roman poignant est comme une « fable sur l’enfermement et l’espérance ».

Laetitia Colombani : les Victorieuses (N°3 - oct 2019)

Laetitia Colombani : Les Victorieuses - Grasset, 2019 - roman français

  Les victorieuses

 Après le roman « la Tresse », phénomène littéraire, paru en 2017, qui va être adapté par l’auteur au cinéma et qui a été traduit en une trentaine de langues, l’auteure nous écrit ici un très beau roman avec des chapitres en alternance qui entremêlent le passé et le présent.

Le présent, c’est Solène, célibataire de 40 ans, qui subit un burn-out dû à sa profession stressante d’avocate et au suicide d’un de ses clients.
Le passé : c’est une des fondatrices de « Palais de la Femme », Blanche Peyron (1867-1933), figure de l’Armée du Salut en France.
L’auteur a visité cette « citadelle-refuge » qui accueille depuis 1926 les femmes dans le besoin au 94 rue de Charonne dans le 11ème arrondissement à Paris. Dans un article de L’Express, elle dit : « Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à raconter  sur les femmes à travers cet endroit ». Elle visite les lieux, reçoit des confidences de certaines résidentes et rencontre « un écrivain public bénévole ».
La trame de son roman était donc trouvée. L’héroïne, Solène, consulte un psychologue pendant la période difficile de son burn-out. Celui-ci lui conseille de donner du temps aux autres. Elle devient donc « cette bénévole improbable » au Palais de la Femme, découvrant le visage de la précarité et de toutes ces femmes déclassées, surendettées et sans papiers. Elle y sera écrivain public.
L’auteur enquête sur le personnage historique hors du commun, Blanche Peyron, cette « guerrière de l’humanitaire » au projet fou : rénover cette énorme bâtisse en 1926. Les pages à son sujet sont très intéressantes.
Ces deux femmes auront un même idéal à des périodes espacées dans le temps : « venir en aide à celles qui ont tout perdu » : deux très beaux portraits de femmes très bien écrits. « Le style est une affaire d’harmonie et de fluidité » « Il faut atteindre une forme de simplicité » : c’est très réussi !