mardi 5 novembre 2019
Nathacha Appanah : Le ciel par-dessus le toit (N°2 - oct 2019)
Nathacha Appanah : Le ciel par-dessus le toit - Gallimard, 2019 - roman français
Natacha Appanah est une auteure mauricienne qui a écrit « Tropique de la violence » en 2016 et a obtenu pour ce roman une quinzaine de prix littéraires. Elle dit avoir « la hantise de l’univers carcéral » et a voulu écrire ici un texte sur l’enfermement « à travers le personnage de Loup, presque 18 ans, jeune pas tout à fait comme les autres, sensible, rêveur, qui se retrouve dans une prison pour mineurs ». Mais aussi à travers la mère de Loup, Phénix, qui « n’accepte pas ce qu’elle est » : « l’enfermement se traduit dans la façon dont l’amour est transmis » dit l’auteur.
Pourquoi Loup est-il
incarcéré ? : la veille, sans permis, il a pris la voiture de sa mère
et a provoqué un accident. Il voulait revoir sa grande sœur Paloma qui a fui le
foyer familial, dix ans auparavant, en lui disant : « Je reviens
te chercher très vite ».
La mère, Phénix, tatouée de partout pour fuir son corps, a
élevé seule ses enfants très durement, sans aucune tendresse. On le comprend
mieux dans le chapitre décrivant son enfance : très belle et chantant à
merveille, elle fut exhibée par ses parents « comme une lolita » et
ne supportait pas ces spectacles. A l’adolescence, elle a craqué au point de
devoir passer un long séjour en hôpital psychiatrique pour « tenter de
s’extirper de sa prison intérieure »
L’accident de Loup va faire revenir chaque personnage aux
sources et leur « faire pardonner tout le mal qu’on leur a fait pour mieux
s’en débarrasser ».
L’auteur explique le titre de ce roman : elle aime ce
poème de Verlaine, écrit en 1873 : « Le ciel est par-dessus le toit,
si bleu, si calme ». Verlaine l’a écrit en prison. « Ce poème me
semble d’une beauté absolument parfaire, ciselée, cristalline » dit-elle.
Elle se demande « Comment, en prison, on peut accéder à ce genre de
souffle, de légèreté, de beauté. J’ai
imaginé pour mes personnages un dehors, une autre beauté qui les ferait se
sentir moins enfermés ».
Grâce à sa merveilleuse écriture, précise, juste, poétique, intimiste,
ce roman poignant est comme une « fable sur l’enfermement et
l’espérance ».
Laetitia Colombani : les Victorieuses (N°3 - oct 2019)
Laetitia Colombani : Les Victorieuses - Grasset, 2019 - roman français
Après le roman « la Tresse », phénomène littéraire, paru en 2017, qui va être adapté par l’auteur au cinéma et qui a été traduit en une trentaine de langues, l’auteure nous écrit ici un très beau roman avec des chapitres en alternance qui entremêlent le passé et le présent.
Le présent, c’est Solène, célibataire de 40 ans, qui subit un
burn-out dû à sa profession stressante d’avocate et au suicide d’un de ses
clients.
Le passé : c’est une des fondatrices de « Palais de
la Femme », Blanche Peyron (1867-1933), figure de l’Armée du Salut en
France.
L’auteur a visité cette « citadelle-refuge » qui
accueille depuis 1926 les femmes dans le besoin au 94 rue de Charonne dans le
11ème arrondissement à Paris. Dans un article de L’Express, elle
dit : « Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à raconter sur les femmes à travers cet endroit ».
Elle visite les lieux, reçoit des confidences de certaines résidentes et
rencontre « un écrivain public bénévole ».
La trame de son roman était donc trouvée. L’héroïne, Solène,
consulte un psychologue pendant la période difficile de son burn-out. Celui-ci
lui conseille de donner du temps aux autres. Elle devient donc « cette
bénévole improbable » au Palais de la Femme, découvrant le visage de la
précarité et de toutes ces femmes déclassées, surendettées et sans papiers.
Elle y sera écrivain public.
L’auteur enquête sur le personnage historique hors du commun,
Blanche Peyron, cette « guerrière de l’humanitaire » au projet
fou : rénover cette énorme bâtisse en 1926. Les pages à son sujet sont
très intéressantes.
Ces deux femmes auront un même idéal à des périodes espacées
dans le temps : « venir en aide à celles qui ont tout
perdu » : deux très beaux portraits de femmes très bien écrits.
« Le style est une affaire d’harmonie et de fluidité » « Il faut
atteindre une forme de simplicité » : c’est très réussi !
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