Dominique Bona : Colette et les siennes - Grasset, 2017 - biographie.
Le 23 Octobre 2014,
Dominique Bona a été la huitième femme à entrer à l’Académie Française,
superbement habillée selon les règles mais dans une tenue « Chanel haute
Couture » quand même….Dominique Bona est une critique littéraire très
reconnue et appréciée et un écrivain que j’aime beaucoup pour ses biographies
dans lesquelles elle nous fait découvrir le côté intime et caché de ses
personnages. Elle dit d’ailleurs cette phrase amusante : « J’ai
arrêté d’écrire des fictions quand j’ai compris que la vraie vie est infiniment
romanesque. La réalité dépasse presque la fiction. Ecrire des biographies me
permet de vivre d’autres vies que la mienne ». On ne peut oublier ses
remarquables biographies sur Stephan Zweig, Camille et Paul Claudel, Berthe
Morisot, Clara Malraux, Paul Valéry dont
j’ai fait des fiches dans ce blog.
Dans ce récit,
Dominique Bona nous fait entrer dans l’intimité de l’écrivain Colette depuis
l’été 1914 jusqu’à sa mort en 1954 mais quelques retours en arrière nous font
entrevoir toute la vie de l’écrivain.
L’été 1914, les hommes
sont partis à la guerre. Par sécurité ( ?), Colette expédie sa fille,
Bel-Gazou, en Corrèze, chez sa belle-mère. (Très peu d’allusions à cet enfant
dans cette biographie : Colette s’en occupe peu).
Dans son charmant
chalet de Passy, près du Bois de Boulogne, Colette héberge ses trois plus
chères amies car « la solitude l’effraie » : Annie de Pène,
journaliste au ‘Matin’ et romancière, Marguerite Moreno, comédienne et Musidora,
danseuse de cabaret et première vamp du cinéma muet. Ainsi dans ce chalet, y
a-t-il « une solidarité de filles, comme au front une solidarité des
soldats » dira Colette.
A cette époque, Colette
est ainsi décrite par l’auteur avec certains mots de Maurice
Chevalier : « La silhouette un peu trapue, dodue, sans encore de
graisse indésirable, les yeux qui pétillent, le sourire enfantin sans parler de
son intelligence vif-argent et de ses dons d’écrivain…on peut y ajouter son
odeur de jasmin sauvage »… L’auteur rappelle aussi que Colette, au début
du siècle, danse dans des cabarets, joue en petite tenue dans des spectacles.
Elle jetait un défi à la société bourgeoise de son époque ».
Une amitié inébranlable
se noue entre ses quatre amies : « Le joyeux quatuor s’organise pour
lutter contre les contraintes du temps, dans une atmosphère oscillant entre le
pensionnat et la maison close ». Les quatre femmes s’éclatent dans une
douceur de vivre dévergondée : cheveux courts, pantalons, amoureuses des
deux sexes : « Entre les quatre femmes il n’y a que douceur et
câlineries… Force juvénile de Musidora. Force raisonnable et équilibrée d’Annie.
Force démesurée, herculéenne de Moreno… ». Cette amitié restera solide.
Leur complicité durera malgré les séparations dues à la guerre et au travail de
chacune, Colette partant à Verdun et à Rome comme journaliste, Annie faisant
des reportages vers les frontières de l’Est, Moreno étant infirmière dans le
Sud et Musidora tournant des films dans le Midi.
Une partie du livre se nomme
« Interlude lesbien » : Dominique Bona nous explique :
« Lesbos est un abri, un refuge, une source de joies et d’émotions. »
Colette a été « pour femmes » (disait-on pour les lesbiennes à
l’époque) à un certain moment de sa vie mais
vit également un grand bonheur avec son deuxième mari, Henri de
Jouvenel. Elle ajoute « Phénomène de mode autour de 1900, l’amour lesbien
inspire la littérature. La Belle Epoque se montre plutôt indulgente pour les
ébats entre femmes, considérés comme un divertissement charmant, un luxe
lesbien ».
Dominique Bona ne nous
écrit pas une biographique chronologique mais une « biographie
chorale ». Elle « enlace » (dit-elle) les quatre destins pour
mettre en évidence « les similitudes et les dissemblances, les liens
étroits entre l’intime et l’artistique. » Le lecteur se régale des extravagances, des situations
bizarres, des frasques de chacune, des descriptions de leur vie quotidienne.
Pari réussi car nous
suivons pêle-mêle la vie des quatre amies, Colette dominant la petite troupe.
C’est l’occasion aussi de connaître la vie artistique à Paris pendant et après
la guerre, l’activité journalistique,
l’évolution du cinéma passant du muet au parlant. La fin de vie et donc
du livre est moins passionnante et un peu longue mais ainsi va la vie….
Cette lecture donne
envie de relire des œuvres de Colette qui a beaucoup influencé les femmes de
son époque : « Elle a montré qu’on pouvait être une femme issue d’un
milieu populaire et imposer son nom ». Dominique Bona caractérise le style
de Colette comme « très sensible et très sensuel : c’est sa
signature. Colette apporte de la chair aux mots et décrit le quotidien en
faisant appel à tous les sens. Avec elle, on est toujours au cœur de la
vie », dit-elle dans une interview dans la revue LIRE.