lundi 19 décembre 2016
Metin Arditi : L'enfant qui mesurait le monde (N°2 Dec 2016)
Metin Arditi : L'enfant qui mesurait le monde - 2016, Grasset - roman
Eliot, architecte à la
retraite, revient dans sa Grèce natale pour enterrer sa fille décédée d’un
accident sur l’île imaginaire de Kalmaki. Il décide de rester sur cette île
pour continuer le travail qu’avait commencé sa fille : des recherches sur
« le nombre d’or », « la clé de l’art antique et de sa magie ».
Douze années se sont
écoulées, Eliot connait tous les habitants de l’île et propose à Maraki, femme
de 50 ans, divorcée, pêcheuse à la palangre, de garder son fils, Yannis, un
petit garçon pas comme les autres : il est autiste et pour calmer son
angoisse, il « calcule tout jusqu’à l’obsession ».
Une belle amitié
s’instaure entre le vieil homme et l’enfant. Elle deviendra une grande
affection et un plaisir de tous les jours de se retrouver. L’apaisement de l’enfant et
la patience d’Eliot sont magnifiquement étudiés.
Sur cette île grecque,
la crise a rendu tous les habitants pauvres et tristes. Lorsque le maire parle
d’un immense projet hôtelier au bord de la plus belle baie, tous imaginent
sauver l’île économiquement. Mais « l’ordre tranquille de l’île sera
chamboulée » (Figaro) et Eliot s’engagera dans un combat passionnant en
proposant aux habitants de lutter contre ce projet immobilier.
Metin Arditi a un don
pour décrire les êtres, les lieux, le temps qui passe, les sentiments avec une
grande sensibilité dans une écriture fluide faite de phrases rythmées et de
chapitres courts.
On repense longtemps à
ce récit et surtout à cette histoire
d’amitié et de confiance. On ne peut oublier les deux personnages
principaux, Eliot et Yannis : « ce roman bouleversant, empreint de
sensibilité évoque bien sûr la crise économique de la Grèce mais dit d’abord comment l’amitié peut
libérer ».
Michel Bernard : Deux remords de Claude Monet (N°3 Dec 2016)
Michel Bernard : Deux remords de Claude Monet - 2016, La table ronde - Roman
Michel Bernard est un auteur habitué au récit biographique « enveloppant, sensible et fidèle » sur des musiciens, des artistes, des écrivains.
Dans ce livre, il nous
« peint » la vie de Monet de façon inattendue car il évoque ses deux
remords - on pourrait dire ses deux regrets, ses deux douleurs – un peu
« ses fantômes doux et tenaces » qui l’accompagneront jusque la fin
de sa vie : son grand ami Frédéric Bazille, peintre (exposition
actuellement au Musée d’Orsay) et Camille, sa première femme. Il fait vivre
Monet d’Argenteuil à Giverny, avec son atelier flottant, son bonheur de
peindre, ses bleus et ses mauves, sa mélancolie.
Dans la première partie
de ce récit, l’auteur évoque Fréderic Bazille, compagnon d’atelier et ami de
jeunesse de Claude Monet. Il est sous-lieutenant des Zouaves (description de sa
tenue magnifique). Il s’engage dès le début de la guerre et meurt très jeune en
1870 lors d’un combat à Beaune-la-Rolande. L’auteur nous fait vivre l’errance
du père de Bazille pour retrouver le corps de son fils dans de très belles
pages émouvantes. L’auteur évoque les souvenirs communs de Bazille et Monet,
leur amitié profonde, leur entraide dans la création de leurs peintures avec
beaucoup de précisions et une écriture fluide.
Dans la deuxième
partie, l’auteur nous parle de Camille, l’amour de la vie de Monet, devenue sa
femme en 1870, son inspiration, « une beauté absolue » et son modèle,
particulièrement pour « la femme à la robe verte » qui eut un grand
succès au salon de la peinture en 1866. Elle partage avec l’artiste les années
les plus difficiles, la gêne pécuniaire, les déménagements en France et à
l’étranger (Londres, Pays-Bas) mais elle l’encourage et le supporte avec tant
de patience et d’amour. Elle meurt jeune à 32 ans en 1879, peu après la
naissance de leur second garçon, Michel.
Ces deux intimes de
Monet figurent dans son superbe et immense tableau « Déjeuner sur
l’herbe » dont il existe des panneaux au Musée d’Orsay et une esquisse
complète au Musée Pochkine à Moscou actuellement et exceptionnellement à
la Fondation Vuitton à Paris.
La troisième partie est
moins passionnante car plus connu : Monet est vieux à Giverny, perd sa
seconde femme Alice et son fils aîné Jean de maladie. Il est entouré de
Blanche, la fille d’Alice, qui le soutiendra jusque la fin. Il rencontre
souvent son ami Clémenceau : belles description des deux hommes de
caractère mais très attachés l’un à l’autre.
L’auteur a une belle
écriture juste et sensible et « démonte le mécanisme compliqué et exigeant
de l’inspiration créatrice chez un artiste » (BPT)
Les deux premières
parties sont très intéressantes : comme une brève biographie de Bazille
dont on ne connait pas beaucoup la vie puis comme une biographie de Monet avec
sa femme Camille donc de 1866 à 1879. Puis malheureusement on retrouve Monet
dans la troisième partie très âgé puis mourant en 1926…Il manque donc quelques
années….
Erri de Luca : Le plus et le moins (N°4 Dec 2016)
Erri de Luca : Le plus et le moins - 2016, Gallimard - récit autobiographique court.
Erri de Luca est un
écrivain, poète et traducteur italien contemporain. Il a obtenu en 2002 le prix
Fémina étranger avec « Montedidio » (récit de son enfance dans ce
quartier populaire de Naples) et le Prix Européen de Littérature en 2013.
Je pense qu’il faut
connaître Erri de Luca, son parcours, ses origines, sa vie pour bien apprécier
ce recueil « inclassable et iconoclaste ».
En 37 petits textes,
sur des grands sujets, écrits chronologiquement par rapport à sa propre vie,
l’auteur trace sa biographie en nous exprimant « son moi profond » et
cela rend ce récit très touchant. Quelques sujets sont moins passionnants que
d’autres mais il se cache des trésors de phrases, d’idées, de réflexions sur son
enfance, sa famille, sa vie et des remarques quelquefois un peu trop
nostalgiques mais positives envers la jeunesse actuelle. Il aborde, entre autres,
des sujets comme la liberté rencontrée dans la nature (n’oublions pas qu’il est
un alpiniste chevronné), l’entraide et la fraternité entre les ouvriers
(n’oublions pas qu’il fut ouvrier), les luttes du monde politique, l’étude de
la Bible (n’oublions pas qu’il est considéré comme un sage et un humaniste) etc…
Bon sujet de réflexion
pour chacun.
samedi 26 novembre 2016
Gaël Faye : Petit pays (n°1 Nov 2016)
Gaël Faye : Petit pays - Grasset - 2016 - roman autobiographique
Lauréat du prix du
roman Fnac en début d’automne, faisant partie de la première sélection pour le Goncourt et maintenant Prix
Goncourt des Lycéens, Petit Pays est l’une des découvertes de la rentrée. Gaël Faye
est un franco-rwandais, exilé en France depuis 1995, devenu trader à Londres
(où il menait « une vie de poisson rouge »…) puis rappeur-slameur en France.
La première partie du roman (sûrement autobiographique) décrit le quotidien insouciant d’un petit garçon métis
(père français, mère rwandaise) au Burundi. Il mène une vie tranquille et
heureuse vers la fin des années 1990 avec belle maison, domestique, copains. Que
de belles images de cette enfance : le goût des mangues, la lumière
aveuglante, la musique, les senteurs des fleurs, les jeux d’enfants puis de
pré-ados. Mais cette insouciance est apparente car il connait les difficultés que sa maman a rencontrées. il nous écrit ce très beau passage : « Les voisins étaient surtout des Rwandais qui avaient
quitté leur pays pour échapper aux tueries, massacres, guerres, pogroms,
épurations, destructions, incendies, mouches tsé-tsé, apartheids, viols, meurtres,
règlements de compte et que sais-je encore. Comme Maman, ils avaient fui ces
problèmes et en avaient rencontrés de nouveaux au Burundi – pauvreté,
exclusion, quotas, xénophobie, rejet, boucs émissaires, dépression, mal du
pays, nostalgie. Des problèmes de réfugiés. »
La séparation de ses
parents sera la première ombre et la fin de l’innocence. Commence alors la
deuxième partie du roman : l’enfant devient adulte. L’auteur écrit avec
puissance et émotion ce franchissement entre les deux mondes. A la même époque ont lieu
les massacres entre Hutus et Tutsis. La famille de sa mère sera victime du
génocide Tutsis au Rwanda en 1994. L’auteur « parvient à trouver les mots
pour l’indicible, à travers le témoignage de sa mère, au cours d’une scène
nocturne et douloureuse, sur l’assassinat de ses nièces » (Match)
« A la voix du
petit garçon, se mêle celle de l’homme qu’il est devenu 20 ans plus tard ».
Il nous dit lorsqu’il retourne dans son pays : « Je pensais être
exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j’ai compris que je
l’étais de mon enfance. Ce qui me parait bien plus cruel encore ». Le
dernier chapitre est le point sublime de ce roman…très émouvant.
Beaucoup de sujets
abordés dans ce roman puissant et dense : l’identité, la peur, le passage
d’un enfant à l’âge adulte, le racisme en Afrique, les rapports entre les
expatriés et les Africains, les exilés, les réfugiés.
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