Patrick Modiano : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier - Seuil, 2014 - roman français
L’écrivain Patrick Modiano a reçu le 10 décembre 2014 du roi de Suède, le
plus prestigieux des prix littéraires, le prix Nobel de littérature, au
Stockholm Concert Hall devant 1250 invités. L’Académie suédoise a distingué
l’écrivain et son œuvre « où la petite musique rejoint la grande » et
« pour l’art de la mémoire avec lequel il a fait surgir les destins les
plus insaisissables et découvrir le monde vécu sous l’Occupation nazie ».
Il est le 15ème lauréat français de ce prestigieux prix, J. M. G. Le
Clézio, l’ayant reçu en 2008. Il
dira, entre autre dans son discours : « J’ai des liens très fort
avec la Suède. La première fois qu’un de mes romans a été traduit, c’était en
suédois et j’ai un petit-fils suédois »…Il reçoit ce prix « comme un
coup de baguette magique » dit-il.
C’est évidemment
« dans une rue de Paris » que le romancier a appris la nouvelle qui
l’a « touché », même si elle était « …bizarre ». Il parait
« tout embarrassé » de cet honneur. Beaucoup d’articles ont paru sur
lui à cette occasion bien sûr mais il est amusant de voir comme il désarçonne
les journalistes. Je reprends quelques passages de la rencontre de Patrick
Modiano avec l’Académicien Jean-Marie Rouart : « Il reste
immuable : long jeune homme évanescent, incrédule devant la bourrasque du
succès, le geste imprécis avec de grands bras qui font des mouvements de
sémaphore…Il demeure tout aussi empêtré dans ses phrases que dans son triomphe.
Son accueil est désarmant de gentillesse et de prévenance…Qu’importe, après
tout, qu’il fasse le désespoir des journalistes s’il fait le bonheur des
lecteurs…Il parle comme on écrit, en raturant les mots, en raturant les
phrases, en corrigeant sans cesse son expression, en la biffant… ».
L’auteur est « un
somptueux mélancolique » et un solitaire qui se cache. D’ailleurs en Mai
2013, paraissaient ses œuvres réunies en un volume dans la collection
« Quatro » : sont rassemblés dans ce livre 10 romans et des
documents présentant l’auteur avec photos familiales et confidences mais
l’auteur disait alors qu’il craignait « que les documents
assemblés en début d’ouvrages viennent anéantir le flou, si beau, de ses
textes. Qu’un trop plein de lumière fasse fuir les ombres qui les
peuplent ». Patrick Modiano nous parait en effet très solitaire : ses
personnages lui servent-ils de compagnie « comme des ombres surgies
de son passé, transfigurées par le processus d’autobiographie, rêvées ou
imaginaires ? ». Dans les derniers textes du
« Quatro », « la frontière entre vécu personnel et mémoire
imaginaire s’efface dans une même incertitude, à la manière d’images filmiques ».
Patrick Modiano n’a t-il pas déclaré qu’il n’avait « jamais eu l’impression d’écrire des romans mais de
rêver des morceaux de réalité qu’il essayait ensuite de rassembler tant bien
que mal ? » Incroyable, NON ??
Si vous n’avez pas l’habitude de lire des « Modiano », ce n’est
peut-être pas idéal de commencer par « Pour que tu ne te perdes pas dans
le quartier » qui, pour moi, reste une histoire floue sur le thème du
souvenir que l’on ne peut effacer de sa mémoire. Si vous aimez cet auteur, vous
retrouverez tout ce que l’on peut aimer chez lui : quête identitaire,
chasse aux souvenirs, héros mélancolique et solitaire, ambiance nonchalante,
douceur diffuse, le tout dans une écriture pleine de charme et envoûtante.
Le narrateur, écrivain
solitaire d’une soixantaine d’années, vivant dans une réclusion volontaire, est
joint au téléphone par un couple étrange qui veut le rencontrer pour lui
remettre en mains propres son carnet d’adresse qu’il avait perdu dans le train.
Au téléphone, « la voix molle et menaçante » se fait pressante. Sur
ce carnet figure nom et adresse d’un personnage que veut connaître le couple et
qu’a connu notre écrivain. Ce nom fait ressurgir en lui un passé qu’il avait cru
oublié et qui est enfoui dans une valise mais « par chance » il en a
perdu la clef… Que faire de ses souvenirs quand ils se dérobent « comme
des bulles de savon ou les lambeaux d’un rêve ?». Les souvenirs ramènent
notre héros aux années 50 quand il est enfant : « mystérieuses allers-venues,
visites nocturnes, murmures comploteurs, crissements de pneus sur les
graviers » dans une maison près de Paris, vie parisienne pendant laquelle
l’enfant erre dans les rues avec dans sa poche un papier avec son adresse
« Pour que tu ne perdes pas dans le quartier », une femme qui lui
sert de mère de substitution et vraisemblablement plu tard d’amante ??? Que de
mystères, que de secrets enfouis, que d’ombres du passé…La fin du livre est
floue mais révèle la grande solitude et le désarroi d’enfant abandonné qu’il
fut probablement, l’auteur mélangeant souvent histoire personnelle et création
littéraire. Le critique de Match conclura en disant : « Ces
souvenirs qui se dérobent sont ceux d’un enfant qui ne veut pas se rappeler l’abandon
qui l’a plongé dans la peur ».
J’ai beaucoup aimé les phrases courtes et simples avec des mots qui sèment le trouble et cette
brume romanesque qui n’appartient qu’à lui. J’ai beaucoup aimé aussi le Paris
des années 50 qui se superpose au Paris d’aujourd’hui. J’ai beaucoup aimé la
mélancolie, « la petite musique triste qui accompagne ses personnages semblant
appréhender l’éclat du soleil ou la clarté trop vive de la réalité »….On
aura compris : j’aime beaucoup l’œuvre de Patrick Modiano.