Julia Deck : Le Triangle d'hiver - Les éditions de Minuit, 2014 - roman français court
Julia Deck a un attrait
particulier pour les personnages marginaux, déjantés. Dans son premier roman
intrigant, « Viviane Elisabeth Fauville » était son héroïne à
l’esprit plein d’idées folles et paranoïaques. Ici dans « Le Triangle
d’hiver », pas de nom : l’héroïne est
« Mademoiselle » : pas d’identité réelle pour cette jeune femme
seule, belle, un faux air d’Arielle Dombasle, sans emploi, en fin de droit de
chômage, qui court après sa propre identité.
Elle vit au Havre dans
un studio « tout en angles droits, équipements fonctionnels et baies
verticales ». Elle se laisse vivre, regarde par sa fenêtre l’énorme bateau
(le Sirius) accosté au port, erre dans la ville, vole, vend son corps pour
avoir des vêtements. Puis elle rencontre dans un bar « l’inspecteur »
de navire dont on sent qu’elle va tomber amoureuse mais rôde autour de cet
homme la journaliste Blandine Lenoir !!!! Le triangle : trois
personnages.
L’inspecteur part vers
Saint-Nazaire pour travailler sur le Sirius : elle suit le périple de ce
navire et part pour ce port pour vivre avec son inspecteur. Elle lui dit
s’appeler Bérénice Beaurivage et qu’elle est écrivain. C’est le nom d’une
héroïne interprétée par Arielle Dombasle d’un film d’Eric Rohmer « L’arbre, le maire et la
médiathèque » : Nouvelle identité, seconde ville, second port mais
Mademoiselle se laisse prendre dans le tourbillon de ses mensonges et dans le
confort de l’argent facile. La journaliste, sa rivale, démasque son subterfuge
et l’ inspecteur réalise sa méprise mais joue le jeu.
Après un séjour parisien pendant lequel elle
essaie de se rendre le plus invisible possible, l’inspecteur lui propose de
l’emmener à Marseille. Troisième ville (Le
triangle : trois ports) mais aucune solution : même vagabondage,
mêmes pensées primaires. L’inspecteur la renvoie, dans sa solitude et son
errance, au point de départ : Le Havre.
L’histoire en elle-même
peut paraître banale mais ce roman singulier, presque une nouvelle, se lit d’un
trait : on est surpris, intéressé, étonné par une écriture extraordinaire
et accrocheuse. On passe du « je » au « on », ce qui est
deroutant. J’ai beaucoup aimé les descriptions époustouflantes de vérité des
trois ports : La Havre entièrement détruit pendant la Seconde Guerre
mondiale et reconstruit tout en béton armé qui peut même paraître lumineux
comme dans la flèche de la cathédrale Saint-Joseph ; Saint-Nazaire et son
port naval gigantesque ; Marseille avec son ambiance bien à lui. J’ai
beaucoup aimé les formidables descriptions du cheminement de la pensée et du
regard neutre, anonyme, froid sur les choses et les événements, qui nous
suggèrent si bien l’état d’esprit de notre « Mademoiselle » qui reste
une jeune femme décalée, fragile, inoccupée, vide et seule.
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