mercredi 24 septembre 2014

Julia Deck : Le triangle d'hiver

Julia Deck : Le Triangle d'hiver - Les éditions de Minuit, 2014 - roman français court


livre le triangle d'hiver

Julia Deck a un attrait particulier pour les personnages marginaux, déjantés. Dans son premier roman intrigant, « Viviane Elisabeth Fauville » était son héroïne à l’esprit plein d’idées folles et paranoïaques. Ici dans « Le Triangle d’hiver », pas de nom : l’héroïne est « Mademoiselle » : pas d’identité réelle pour cette jeune femme seule, belle, un faux air d’Arielle Dombasle, sans emploi, en fin de droit de chômage, qui court après sa propre identité.


Elle vit au Havre dans un studio « tout en angles droits, équipements fonctionnels et baies verticales ». Elle se laisse vivre, regarde par sa fenêtre l’énorme bateau (le Sirius) accosté au port, erre dans la ville, vole, vend son corps pour avoir des vêtements. Puis elle rencontre dans un bar « l’inspecteur » de navire dont on sent qu’elle va tomber amoureuse mais rôde autour de cet homme la journaliste Blandine Lenoir !!!! Le triangle : trois personnages.
L’inspecteur part vers Saint-Nazaire pour travailler sur le Sirius : elle suit le périple de ce navire et part pour ce port pour vivre avec son inspecteur. Elle lui dit s’appeler Bérénice Beaurivage et qu’elle est écrivain. C’est le nom d’une héroïne interprétée par Arielle Dombasle  d’un film d’Eric Rohmer « L’arbre, le maire et la médiathèque » : Nouvelle identité, seconde ville, second port mais Mademoiselle se laisse prendre dans le tourbillon de ses mensonges et dans le confort de l’argent facile. La journaliste, sa rivale, démasque son subterfuge et l’ inspecteur réalise sa méprise mais joue le jeu.

 Après un séjour parisien pendant lequel elle essaie de se rendre le plus invisible possible, l’inspecteur lui propose de l’emmener à Marseille. Troisième ville  (Le triangle : trois ports) mais aucune solution : même vagabondage, mêmes pensées primaires. L’inspecteur la renvoie, dans sa solitude et son errance, au point de départ : Le Havre.
L’histoire en elle-même peut paraître banale mais ce roman singulier, presque une nouvelle, se lit d’un trait : on est surpris, intéressé, étonné par une écriture extraordinaire et accrocheuse. On passe du « je » au « on », ce qui est deroutant. J’ai beaucoup aimé les descriptions époustouflantes de vérité des trois ports : La Havre entièrement détruit pendant la Seconde Guerre mondiale et reconstruit tout en béton armé qui peut même paraître lumineux comme dans la flèche de la cathédrale Saint-Joseph ; Saint-Nazaire et son port naval gigantesque ; Marseille avec son ambiance bien à lui. J’ai beaucoup aimé les formidables descriptions du cheminement de la pensée et du regard neutre, anonyme, froid sur les choses et les événements, qui nous suggèrent si bien l’état d’esprit de notre « Mademoiselle » qui reste une jeune femme décalée, fragile, inoccupée, vide et seule.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire