Laurent Seksik : Le Cas Eduard Einstein - Flammarion, 2013 - roman français.
Dans « Les
derniers jours de Stephan Zweig » (paru en 2010), Laurent Seksik racontait
la fin tragique de Stefan Zweig et de sa femme qui vécurent les six derniers
mois de leur vie en exil au Brésil avant de se suicider. Il rentrait dans
l’intimité de ce huis-clos tragique entre l’écrivain autrichien et son épouse
durant le début de l’année 1942. J’avais beaucoup aimé ce roman mêlant le réel
et la fiction sur la vie d’un de mes auteurs préférés. Laurent Seksik aime se
passionner pour de grands personnages particulièrement torturés….
Ici il se penche sur la
vie du fils du célèbre savant Albert Einstein, Eduard. Celui-ci est reconnu
schizophrène à 20 ans (terme nouvellement inventé en 1930 par le directeur de
l’asile en remplacement de démence précoce). Eduard est interné à Zurich où vit
sa mère, admirable de dévouement et qui va se consacrer à son fils, en l’aimant
jusqu’au bout de ses forces. Pendant ce temps, son père, le génie, prix Nobel,
tombe amoureux de sa cousine Elsa et part avec elle à Berlin puis aux USA,
abandonnant sa famille. Eduard ne lui pardonnera jamais. On peut supposer que
cet abandon, l’absence de dialogues, la séparation de ses parents ne font
qu’empirer son état psychologique. Il restera 33 ans dans cet asile. Il y
deviendra jardinier…..
L’auteur a l’idée
géniale de faire parler ou de reporter les pensées intérieures des trois héros,
Eduard, sa mère et son père, trois personnages attachants et pathétiques.
« Extraordinaire trio de soliloques qui se croisent et s’entrecroisent
dans une incommunicabilité totale » nous dit Bruno Frappat dans la Croix.
« Il se place au plus près de la vérité pour interpréter des faits,
imaginer des dialogues, retranscrire les pensées les plus intimes » (dans
Match). Comment fait-il pour nous écrire de si beaux chapitres sur les pensées
d’Eduard, paroles d’incompréhension, de haine et de souffrance mais paroles
lucides, intelligentes, naïves (entre
deux crises évidemment). On peut repenser à la tragique destinée de Camille
Claudel…
Le long de ce livre,
Albert Einstein parait indifférent au sort de son fils. Il n’en parle jamais
sauf en fin de vie. Depuis les USA, il écrit à un ami « Mon fils est le
seul problème qui demeure sans solution ». A travers ce livre, nous
découvrons la vie du génie, honoré sur tous les continents, mais qui est
l’objet d’une haine tenace de la part des nazis dès 1933 puis de la part des
adeptes de la « chasse aux sorcières ». Son ami Juliusberg, médecin
de confiance de la famille et d’Eduard, est le seul à pouvoir lui écrire :
« Tu es un ennemi public, l’ennemi du peuple allemand. Ton seul nom
suscite une haine immense ». A cette époque, il ne reste rien « de
son passé en Allemagne, rien des heures de gloire, rien des rivages heureux ».
Il quitte Berlin, il quitte l’Europe…. Ce qui est surprenant est qu’il ne
parlera jamais à Freud des problèmes de son fils alors que pour Eduard, Freud
était le modèle, l’idole. Pourtant Freud et Albert Einstein se connaissaient
bien, ils correspondaient et leurs ouvrages sont partis en cendre au bûcher à
la même époque en 1933….Quelle période de l’Histoire européenne et américaine
marquée par les tourments provoqués par la haine !!!
J’ai beaucoup aimé ce
roman magnifique et intime qui peint la tragédie de cette famille, entrelaçant
les voix des trois personnages.
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