Edouard Louis : En finir avec Eddy Bellegueule - 2014, Seuil - roman.
C’est LE roman, façon
coup de poing de la rentrée de Janvier 2014 qui raconte une rupture avec le
milieu d’origine, une renaissance : l’histoire d’un jeune Eddy qui a
grandi dans un village de Picardie qui veut « en finir » avec le
rejet, le racisme, l’incompréhension, la bêtise qui l’entourent. L’auteur veut
que ce récit soit considéré comme un roman et non comme un témoignage ou une
biographie : « Il le fait de façon sensible irréfutable », note
la romancière Annie Ernaux qui juge le livre « d’une force et d’une vérité
bouleversante ». D’ailleurs en lisant ce roman, on pense beaucoup à cette
auteure, parce que, comme chez elle, ce livre n’est pas un règlement de compte
mais « une tentative de compréhension ». (ci-après fiche sur Annie
Ernaux)
L’auteur choisit deux
langages dans ce récit : une langue choisie, mesuré, d’un style
contemporain et, à l’inverse, « en italique » la langue des siens, de
tous ceux qu’il côtoie : parents, frères et sœurs, grand-mère, voisins,
langage violent des laissés-pour-compte de la France profonde subissant la
crise.
A la maison, la vie est
rude. Les parents picolent, parlent fort, regardent la télé 24 heures sur
24 : (« mais alors tu fous quoi de tes journées si t’as pas la télé ??? »),
racontent leurs problèmes avec verdeur. La mère étant enceinte dit :
« J’ai perdu un bébé : il est tombé dans les chiottes ».
Toujours la mère : « Moi j’aime bien me marrer. Je joue pas à la
Madame, je suis simple ». Et pour montrer la misère : « Ce
soir, on mange du lait ». Le père : «Oh maintenant j’ai plus pastis dans
les veines que de sang ». Mais ses parents qui élèvent leurs enfants
n’importe comment, les aiment à leur manière. Le père leur dit et prend
plusieurs fois la défense de son fils, sa mère l’excuse parfois…
Collégien de dix
ans, il se fait tabasser tous les jours par deux ados dans le couloir de
l’établissement (le grand roux et le petit au dos voûté). Les deux scènes de
crachats sont inouïes de violence. Eddy commence à se rendre compte de sa différence,
de sa féminité : sa voix prend des intonations féminines, ses mains
s’agitent dans tous les sens et surtout sa famille le traite de
« gonzesse », de « sale pédé ». Il est alors pris entre
deux volontés, celle de devenir comme tous les autres et celle qui le pousse
vers les Hommes. Il se répète comme leitmotiv : « Aujourd’hui je
serai un dur » : il se force à jouer au foot, à boire, à draguer, à
insulter les homosexuels.
Quand il aura compris
qu’il ne peut changer, il a l’opportunité de fuir en allant au lycée. L’auteur
dit : « La fuite est un acte révolutionnaire et non une lâcheté. La
fuite était la seule possibilité qui s’offrait à moi, la seule à laquelle
j’étais réduit, la dernière solution envisageable », solution
courageuse.
L’auteur nous fait
pénétrer dans un milieu déshérité, rural et pauvre peu décrit dans les romans,
que l’on a du mal à imaginer être de nos jours. Il a le droit de nous décrire
cette classe sociale car il en a fait partie. Ce n’est pas le récit d’un
révolté car il ne porte pas de jugement. Eddy est devenu Edouard et Bellegueule
a laissé place à Louis : « Le deuxième prénom de la personne que j’aime
le plus au monde » dit-il maintenant qu’il est élève de Normale Sup et
écrivain.
On ne peut rester
insensible à ce « roman », roman « d’apprentissage lumineux
malgré les ténèbres, plein d’amour à donner malgré la cruauté » (Télérama)
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