Bruno Vouters : Jean et Marie - ateliergaleriéditions, Lignes de vie, 2013- récit
Superbe livre que ce
livre « Lignes de vie » sur Jean et Marie Roulland, tous deux
sculpteurs, installés dans une maison cossue du début du siècle dernier dans le
Nord. Si l’on rencontre ce couple, on découvre un artiste certes handicapé mais avec
un regard vif, pétillant, interrogatif et nostalgique que la magie d’une
ardoise d’enfant permet de transposer en mots et une jeune femme
(Marie-Christine Remmery) « un œil noir grand ouvert sur le monde, un large
sourire, une parole lapidaire…. »
Ce récit nous permet de
mieux comprendre les sculptures déchirées et déchirantes de cet artiste à la
vie tourmentée et de réaliser l’immense
amour qui lie Jean et Marie.
« Morbide »,
« cruel », « désespéré » sont des mots qui reviennent dans
les commentaires sur les sculptures de Jean Roulland. Lui se défend en nous
expliquant : « Mon message est humaniste ». Pour Marie,
« les oeuvres de Roulland ne partent jamais d’une anecdote, elles disent
quelque chose d’universel, d’humain. On peut y voir la souffrance peut-être,
mais la souffrance fait partie de la vie. Celui qui ne souffre pas n’est pas
vivant. Mais je ne sais pas si c’est vraiment de la souffrance. Pour moi, c’est
de la révolte. Jean est un révolté ».
Bruno Vouters a choisi
d’écrire une alternance de chapitres : un chapitre sur la vie de Jean et
Marie depuis leur rencontre jusque maintenant avec des flash-backs sur la vie
de l’artiste et un chapitre écrit par Marie (à la première personne) sur la
maladie de Jean depuis 2007.
Marie vient dans les années 1980 faire un
stage chez Jean à Vieille-Eglise dans le Nord et leur rencontre sera décisive
puisque un grand amour va les lier. Marie remet Jean dans le droit chemin. Elle
l’aide à se confier et il raconte sa vie « amochée » : « son
enfance compliquée, les faux amis, la fin d’un contrat avec une galerie
parisienne, l’échec d’un séjour en Ardèche de 1963 à 1967, les difficultés
familiales. » Après des études à l’école des Beaux-Arts de Roubaix,
il se consacre à plein temps à la sculpture à partir de 1960. Fasciné par le
bronze il en apprend seul la technique à la cire perdue et fond lui-même dans
son atelier. Il est récompensé par de grands prix. « Ensemble ils
recomposaient le patchwork de sa vie. » et cela le sauve de ses
dépendances alcooliques mais elle comprend que l’artiste a besoin d’air, de
liberté. Il devient un grand sculpteur,
fait une exposition rue Mazarine à Paris fin 1990 et une importante
rétrospective de son œuvre lui est consacrée à l’Hospice Comtesse à Lille en
1991.
Les chapitres écrits
par Marie sur la maladie de Jean sont magnifiques et d’un naturel et réalisme à
couper le souffle. Le 13 septembre 2007, il sort de l’Hôpital de Calais où il
était rentré pour un malaise dit sans gravité mais aussitôt fait un AVC. Marie
luttera avec lui chaque jour : elle raconte son désarroi devant la
paralysie totale de « son
Jeannot », devant l’attente avec un
grand A, devant les termes médicaux incompréhensibles….On ne peut être qu’admiratif
devant son courage, son optimisme, sa disponibilité et son amour inconditionnel
pour Jean : « Elle va le sauver son Jeannot, à n’importe quel prix,
elle veut y arriver ». De Calais à Zuydcoote puis à Vieille-Eglise en
passant par Berck, son « Mumuchon » progresse. « Jean a toujours
été captivé par les autres. Et maintenant il est aux prises avec sa propre
étrangeté : l’autre c’est lui-même » dit-elle. Premières paroles, premiers gestes « Le
cerveau ne peut pas tout réparer d’un coup »….Jean parle de sa vie passée mais a du mal à être dans la
réalité. En 2010, il reçoit un prix de l’Académie des Beaux-Arts pour
l’ensemble de son œuvre (il a produit mille œuvres !!!). Il comprend que
plusieurs expositions de son œuvre ont lieu actuellement en 2013 dans plusieurs musées :
Musée des Beaux-Arts de Calais, Hospice Comtesse de Lille, Eglise de
Nouvelle-Eglise, Musée « La Piscine » de Roubaix.
Le livre se termine par
un carnaval organisé dans leur maison et pendant lequel Jean réussit à lever un
bras et bouger ses doigts…. Formidable récompense pour leurs efforts à tous les
deux….Marie peut avoir le regard joyeux de fierté mais aussi de nostalgie…
Bruno Vouters est
l’auteur de plusieurs livres et documentaires sur la création et
l’histoire de la région Nord- Pas de
calais. Il est également rédacteur en chef-adjoint du quotidien La Voix du
Nord.
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