samedi 29 juin 2013

Jim Fergus : Chrysis

Chrysis

Jim Fergus : Chrysis - Ed. Cherche-Midi, 2013 - roman franco-américain

Jim Fergus nous fait dans ce roman un portrait incroyable de Chrysis Jungbluth, une jeune artiste française qui vécut à Paris durant les Années Folles en 1920.

C’est en achetant un tableau en France en 2007, signé Chrysis, pour sa femme qui allait mourir d’un cancer quelques mois plus tard qu’il a voulu en savoir plus sur le peintre de cette œuvre, qui représente une scène d’ « Orgie », un groupe d’hommes et de femmes, de toutes couleurs, nus et enlacés.
Ses recherches le conduiront à la Bibliothèque Nationale et aux archives des Beaux-Arts et il nous romance la vie de cette artiste. Chrysis quitte les Vosges pour venir à Paris avec ses parents et prend des cours de peinture dans l’atelier du peintre Hembert où elle rencontrera les artistes de ce début de siècle. Cela donne lieu à des descriptions très enlevées de l’atmosphère déjantée de la vie nocturne à Montparnasse. Elle deviendra « peintre et femme libérée au mitan de ses années folles, allant jusqu’à exposer l’audacieux « Orgie » au Salon de Paris en 1929 » nous dit un critique du Figaro.

Notre belle artiste, par l’effet du hasard, va faire la rencontre dans le quartier Montparnasse, de Bogey, un cow-boy américain, traumatisé par la Grande Guerre à laquelle il a voulu participer ayant un reste de sang français dans les veines. C’est un incroyable périple qu’a fait ce cow-boy (qui a existé ainsi) : partant du Colorado et de son ranch familial à cheval, passant par New-York, traversant l’Atlantique sur un paquebot avec son cheval et devenant « courrier cow-boy » pour la Légion Etrangère, côtoyant la souffrance des soldats et la dureté des combats.

Deux lieux donc : l’Amérique et le Paris des Années Folles, deux atmosphères : la Grande Guerre et ses atrocités et la légèreté des Années 1920. L’on reconnaît bien la double culture de Jim Fergus, de père américain et de mère française. Valérie Trierweiler conclut sa critique sur ce livre en disant : « Jim Fergus a le mérite de nous entraîner dans un monde fait de gravité et de légèreté, de sang et de chair…Comment ne pas aimer un homme ami à la fois de Jim Harrisson et de Robert Redford ? »

Très beaux portraits à la fois véridiques et romanesques de cette jeune artiste et de ce cow-boy dont le monde a quasiment disparu dans une belle écriture facile à lire.

Katrina Kalda : Arithmétique des Dieux

Arithmétique des dieuxKatrina Kalda : Arithmétique des Dieux - Gallimard, 2013 - roman français.



Katrina Kalda, jeune écrivaine estonienne, connue grâce à son premier livre « Un roman estonien » (2010) nous fait ici un récit « poignant et mélancolique » sur les heures sombres de l’occupation allemande puis soviétique de son pays natal. Elle dit elle-même : « c’est un roman dans lequel sont imbriqués deux récits, l’un est contemporain, l’autre se passe dans les années 1940. »

La partie contemporaine est la vie de Kadri (qui ressemble beaucoup à celle de l’auteur) : à 34 ans, « sans mari, ni amant, ni enfant », vivant à Paris, tourmentée pas ses souvenirs estoniens. L’autre partie est le récit de son enfance : elle a grandi dans l’Estonie soviétique dans un logement accordé par le Parti communiste, avec ses grands-parents, ses parents, son oncle et ses tantes et ses cousines (heureusement un arbre généalogique est présenté au début du roman) puis elle est arrivée en France à l’âge de 10 ans avec sa maman.

La grand-mère Eda est le pivot du livre et le récit est entrecoupé des lettres qui lui sont envoyées par son amie Lisbeth en 1941, qui donne des détails rudes sur sa vie de déportés dans un Kolkhoze en République Socialiste Soviétique, ces lettres ayant été retrouvées à la mort d’Eda. Le lien entre les deux femmes se devine au fur et à mesure du récit et les secrets de famille vont se mêler à l’Histoire de l’Estonie. : « Même quand il émeut, et cela arrive souvent, ce roman le fait avec délicatesse » nous dit un critique du Monde.

On apprend que l’auteur arrivée en France à 10 ans, écrit directement en français, ayant intégré notre langue après un bac passé à Calais, une classe prépa à Paris et l’école supérieure de Lettres à Lyon. On ne peut être qu’admiratif…

Très beau roman poignant, subtil et charmeur.

Erri de Luca : Les poissons ne ferment pas les yeux.


Les poissons ne ferment pas les yeux


Erri de Luca : Les poissons ne ferment pas les yeux - Gallimard, 2013 - roman italien. 


Erri de Luca est un ouvrier, écrivain, poète et traducteur italien. Il a eu le prix Fémina étranger en 2002 pour son livre « Montedidio ». Il est aussi grand alpiniste, scénariste de films, créateur d’œuvres musicales, grand lecteur de la Bible…..
Ce livre est, dit-il, un « jubilé personnel » où ses souvenirs le ramènent à la fin de sa petite enfance. Le narrateur, enfant de 10 ans, allait chaque été sur une île près de Naples pour ses vacances estivales avec sa maman. L’année de ses 10 ans fut l’année de la découverte des premiers émois de l’amour avec une fillette « parfumée d’huile d’amande ». Pour affronter l’adolescence, cet enfant pense qu’il faut passer par « un rituel initiatique » qui l’aidera à grandir. Il se laisse tabasser par trois gamins jaloux….

« Erri de Luca possède l’art, que l’on peut qualifier de poétique, de la petite scène inattendue presque miraculeuse » en dit Bernard Pivot : en effet ce « récit d’apprentissage » est d’une écriture magnifique, un petit bijou de littérature, un roman court, attendrissant et touchant, « un enchantement » dit la revue Lire.


Jérôme Garcin : Bleus horizons

Jérôme Garcin : Bleus horizons - Gallimard, 2013 - roman français

Bleus horizons

Jérôme Garcin met en scène un jeune homme imaginaire, Louis Gémon, passionné de littérature. Louis croise les pas du jeune Jean de La Ville de Mirmont, qui a réellement existé, auteur d’un roman « Les dimanches de Jean Dézert » et d’un recueil de poèmes « L’Horizon chimérique » aux premiers jours de la mobilisation de 1914. Une amitié profonde va unir quelques mois ces deux soldats. Le jeune écrivain sera tué à 28 ans en novembre 1914 sur le front de Verdun. Notre héros, Louis, lui, sera rapatrié blessé en février 1915 au Casino de Deauville transformé en hôpital militaire. Il passera le reste de sa vie à faire connaître, à  sauver la mémoire et à réhabiliter son ami tombé au champ d’honneur. Louis raconte donc la vie du jeune poète bordelais arrivant à Paris « ténébreux et ardent, idéaliste et myope ». Jérôme Garcin fait renaître le Paris d’avant-guerre. Nous découvrons la relation privilégiée de Jean avec sa maman qui a perdu 4 enfants. Louis rencontrera François Mauriac, Gabriel Faure, amis de Jean. Mais surtout il raconte les horreurs de cette guerre, ce monde dantesque et le drame d’une génération toute entière fauchée par la Grande Guerre. Il raconte la gaieté, le courage fou, le zèle impressionnant du sergent de Mirmont. « Jérôme Garcin trouve les mots purs pour faire revivre ce poète évanoui mais pas oublié, ce héros perdu » nous dit Dominique Bona.

On ne peut s’empêcher de penser que l’auteur connaît bien « le chagrin inguérissable » de la mort d’un être proche. Il avait déjà écrit sur la mort de son père (« La chute de cheval » en 1998), sur la mort de son frère jumeau (« Olivier » en 2011).

Très beau livre sur l’amitié, sur le devoir de mémoire et les exigences des souvenirs.

Marie Sizun : Un léger déplacement

Un léger déplacement    Marie Sizun : Un léger déplacement - Arléa, janv. 2012 et Poche, fev. 2013 - roman français

Hélène, âgé de 60 ans, revient à Paris après 35 ans d’absence pour régler l’héritage qu’elle vient de recevoir à la mort de sa belle-mère, son père étant décédé avant : elle devient propriétaire d’un appartement dans le 6ème arrondissement.
Elle est mariée à un Américain avec qui elle tient une librairie française au Sud de Manhattan.

Durant ce séjour parisien, les fantômes du passé et les souvenirs de sa vie familiale l’assaillent. Elle se revoit enfant puis adolescente dans cet appartement puis étudiante vivant dans une chambre de bonne du quartier latin. Elle se remémore sa rencontre avec un certain Ivan avec qui elle a vécu une « idylle platonique » riches de confidences, de ballades, de complicités littéraires, de séances de cinéma, idylle qui s’est terminée lorsque Ivan rentrera transformé par son engagement de soldat pendant la guerre d’Algérie.
Cette femme est extrêmement bouleversée par ces quelques jours qui la plonge dans son passé. Comment va-t-elle gérer ces deux mondes : le Paris qu’elle aime encore tant et la vie à Manhattan avec son mari et son travail ?

L’auteur sait nous décrire avec finesse et sensibilité les états d’âme d’Hélène et aussi le charme du quartier latin parisien.
Ce texte intimiste est délicat : c’est un très beau portrait de femme.

A lire du même auteur « La femme de l’Allemand », prix des lectrices de Elle en 2008.

Bénédicte des Mazéry : L'ombre d'un homme


Bénédicte des Mazery : L'ombre d'un homme - Anne Carrière , mars 2012-roman français.

 L'ombre d'un homme


L’auteur met en scène un homme âgé pris de remords après la découverte de documents dans sa cave et se sentant obligé de réparer une faute commise par son père en 1943. Il propose d’héberger un ménage et leur enfant dans un de ses appartements en échange du repas du soir. Quel lien a-t-il avec cette famille ?

Les souvenirs se mêlent avec le moment présent et le roman se passe à deux époques : la guerre et l’après-guerre. On devine les secrets de famille qui se dévoilent petit à petit.

C’est l’occasion pour l’auteur de parler du destin des « semi-juifs » pendant la guerre à Paris, qui étaient placés secrètement dans des camps de travail en plein centre de la capitale en 1943.

Chaque personnage est décrit avec justesse dans une écriture simple et dans un style admirable.

Très bon roman émouvant par sa simplicité.