Sandrine Collette : On était des loups (N°1, fev23)

 Sandrine Collette : On était des loups - Lattès, 2022 - Roman

Ce magnifique roman est le dixième de Sandrine Collette. Il a été couronné, à l’automne 2022, du prix Renaudot des lycéens et du prix Jean Giono. On entend dire dans les médias que François Busnel va adapter cette belle histoire au cinéma dans la nature sauvage du Canada et dans le Nord des Etats-Unis : à ne pas rater, je pense….

Liam, le narrateur, sa femme Ava et leur fils, Aru, 5 ans, vivent isolés dans le dénuement et la simplicité dans une forêt montagneuse « au milieu de nulle part », les premiers voisins étant à 3 heures de marche. Liam n’aime que sa femme et ne communique pas ou peu avec son enfant qu’il n’a pas désiré. Il n’a rien à lui dire, ni à lui offrir.

 Un soir de retour de la chasse, il découvre sa femme morte, déchiquetée par un ours et protégeant de son corps son fils encore vivant : que faire de cet enfant : va-t-il l’abandonner, le garder, s’y attacher ? Que faire de celui « qui sans cesse le ramène à la mort de celle qu’il adorait » (le Monde). Commence alors un long périple, « une errance interminable », pendant laquelle Liam établit des plans pour se débarrasser de son fils dans cette nature sauvage et même jusqu’une petite ville. Le récit est à la première personne. C’est comme un monologue sans ponctuation qui donne un « ton si singulier ». Liam nous raconte l’évolution de ses sentiments dans une langue brute, un style pur, fort et intense. Quelques passages sont terrifiants et les situations extrêmes : l’épisode du lac, l’arrivée de Liam et Aru dans « l’antre d’un vieux tavernier ». L’auteur nous plonge dans « un monde sauvage qui se révèle aussi fascinant qu’inquiétant, aussi sublime que cruel »

Inutile de dire que l’auteure nous écrit des descriptions de la nature magnifique : des montagnes, des forêts, des fleurs, des chevaux, des loups et leurs chants, des élans, des orages et des pluies diluviennes

Ce merveilleux texte va nous montrer comment un Homme devient un père, comment va s’établir la relation père-fils, un peu comme un roman initiatique. Dans les dernières pages, enfin, Liam dit « Je suis devenu le père de mon fils vraiment. Maintenant je voudrais qu’il soit petit toute sa vie »…

Beaucoup d’adjectifs ont qualifié ce récit : magnétique, magistral, saisissant, envoutant, intrigant, poignant, émouvant…tous sont justes : à lire absolument ce récit si original par le texte et par l’écriture.

 

Sylvain Tesson : Blanc (N°2-fev23)

 Sylvain Tesson : Blanc - 2022, Gallimard - récit

 

Notre fameux écrivain, voyageur, aventurier, Sylvain Tesson, nous emmène dans le BLANC de la neige cette fois après nous avoir fait voyager en France avec « Les chemins noirs »en 2016, en Sibérie dans « Les forêts de Sibérie » en 2011, au Tibet dans « La panthère des neiges » en 2019.

Cette fois, son périple le mène au cœur des Alpes dans les paysages enneigés de l’Arc Alpin de Menton à Trieste. « Ce croissant alpin, de la mer à la mer, c’est mythique : c’était un vieux rêve » et « Comment résister à l’appel des échappées ? » dit-il. Munissez-vous d’une carte pour visualiser ce voyage extraordinaire et périlleux de notre écrivain. Il traversera ainsi pendant 3 mois  au début du printemps les montagnes de France, d’Italie, de Suisse, d’Autriche et de Slovénie : 85 jours, 85 chapitres sur 4 années de 2018 à 2021. Il sera accompagné de son ami et guide Daniel du Lac avec lequel il parcourt les montagnes depuis 15 ans qui le soutint et le guide pour cette aventure que Sylvain Tesson arrive à faire malgré ses problèmes de dos et ses difficultés physiques depuis son accident.

Admiration complète pour cet exploit dans ce blanc absolu des neiges éternelles : la lutte contre les bourrasques et les températures très basses, le passage des cols entre 3000m et 4000 mètres d’altitude, les couloirs enneigés à ski ou en crampons en cordée, sa façon d’être perpétuellement aux aguets (pas de désinvolture, dit-il) le tout avec le sac à dos et souvent les skis à porter, les arrêts au refuge avec ou sans gardien avec «  la flambée, le poêle et la soupe : la vie se résume à peu de choses ». Cette nature à la « beauté virginale » le ramène à un retour à l’essentiel. Il nous écrit les divagations de son esprit et partage avec nous ses réflexions sur tout (art, religion, mythologie, écriture, littérature, nos racines, la beauté et la grandeur de la nature, etc) ses états d’âme, ses contemplations…

Dans un entretien avec le journal L’équipe, il dit : « La neige est un élément ultime et j’y ai trouvé une sorte de définition du voyage absolu. Il y a une disparition totale du temps et de l’espace où on a l’impression de flotter dans le rêve » et il y trouve « le calme intérieur ».

Ce récit n’est pas du tout lassant ni redondant car l’auteur avec son sens de la description, son érudition, son humour, sa dérision continue de nous passionner.

 

Elizabeth Jane Howard : La fin d'une ère - Tome V de la saga des Cazalet (N°3-fev23)

   

 Elizabeth Jane Howard : La fin d'une ère - Tome V et dernier  de La saga des Cazalet - 2022, Ed Table ronde, Collection Quai Voltaire - roman    

Elizabeth Jane Howard (1923-2014) a écrit une quinzaine de romans dont ceux-ci : 5 romans qui forment « La saga des Cazalet » parus dès 1990 en Grande-Bretagne et seulement en 2020 en France, pour le premier Tome, (fiche dans ce blog Octobre 2020, N°3), tous traduits « de façon mélodieuse » par Anouk Neuhoff. L’auteure dit s’être inspirée de ses souvenirs personnels et avoir « puisé dans la mémoire de son enfance » pour décrire cette bourgeoisie britannique.

C’est un bonheur de poursuivre, au fil des années de 1937 à 1958, la lecture sur la vie des Cazalet qui continue d’être « une petite merveille de la littérature anglaise ! » (dit un critique)

On retrouve immédiatement les personnages, un peu vieillis certes, mais si bien décrits avec tendresse, avec humour et on se sent « intégrer à cette smala » : heureusement un arbre généalogique en début de ce cinquième volume nous aide à nous repérer et à retrouver chaque lien entre les personnages. « L’auteure reprend avec habileté les cours des vies de ses personnages si attachants » avec leurs qualités, leurs défauts, leurs particularités affrontant « les grandes et les petites joies de l’existence ».

Ils vivent toujours entre Londres et Home Place, leur domaine dans le Sussex. Mais les trois frères Cazalet, ayant repris à trois l’affaire familiale de bois, n’ont pas la carrure de leur père et la vie a évolué très vite après la guerre. C’est la fin de la vie facile et de cette certaine aisance qui leur procurait une vie agréable… mais « Home Place, en dépit de ses tapis usés, de ses papiers peints défraichis et de son toit fatigué demeure un lieu de refuge et de souvenirs, de magie et de tendresse. »

Pour la génération suivante, nous retrouvons les trois cousines Louise, Clara et Polly, mères de famille et moderne et les garçons sont devenus des hommes.

L’auteur écrit avec élégance l’épilogue de cette magnifique saga que les lecteurs ne sont pas prêts d’oublier : « Du grand art », écrit un critique de Femina….