Delphine de Vigan : Les enfants sont rois - 2021, Gallimard- roman
Delphine de Vigan aime étudier des univers sociaux différents et les insérer dans des romans à l’allure de thrillers psychologiques avec des personnages que tout oppose comme dans « D’après une histoire vraie » (prix Renaudot et prix Goncourt des lycéens en 2015), « No et moi », « Jours sans faim ». Nous allons découvrir ici « une réalité terrifiante qui grignote à bas bruit notre société » (La Procure). Elle met en scène deux personnages féminins totalement opposés : une mère de famille de classe moyenne et une jeune flic de la Brigade Criminelle de Paris.
La première partie nous présente cette mère de famille, Mélanie qui s’ennuie chez elle avec deux enfants en bas âge. Elle a l’idée de faire de son fils Sammy et de sa fille Kimmy des héros d’une chaîne You Tube, Happy Récré. Il faut dire que Mélanie a un passé compliqué avec des relations difficiles avec sa mère et sa sœur et elle a rêvé d’être elle-même célèbre en étant sélectionnée pour une émission obscure « Rendez-vous dans le noir » : ce fut râté. Sans doute transpose-t-elle ses ambitions sur ses enfants. Elle poste donc des vidéos sur You Tube « ce monde généreux, providentiel et accessible à tous » dit-elle. En évoluant sur les réseaux sociaux elle veut « se montrer dehors, dedans, sur toutes les coutures »… Elle a besoin de reconnaissance et « déploie beaucoup d’énergie pour être une mère parfaite » dit l’auteure dans une interview à Fémina. En peu de temps des milliers de followers suivent les films de ces enfants « influenceurs » devenus des superstars des écrans. Evidemment des marques connues en profitent pour faire leur publicité en leur offrant leurs produits que « les enfants ouvrent par dizaine, jouent et font des dégustations devant la caméra » (Match) quasiment toute la journée en se changeant de vêtements très souvent, en étant maquillés, en apprenant des textes par cœur…car le succès croissant apporte à la famille une grande notoriété et des finances importantes au point que le papa, ingénieur informaticien, cesse de travailler pour gérer leurs biens et les sommes phénoménales qu’ils encaissent. Sidérant, hallucinant pour les lecteurs peu au courant de ces pratiques.
Mais la réalité rattrape cette famille car un événement majeur stoppe ces activités incroyables. La police doit faire une enquête et rentre en scène, Clara, une femme flic qui va enquêter sur cet événement. Clara est une fille d’enseignant, petite, agile, sportive, discrète et solitaire, très attachante pour les lecteurs. Elle est procédurière à la Brigade criminelle de Paris. Il faut faire vite. Son travail est de consigner tous les indices, les analyses scientifiques, les comptes-rendus d’audition.
La fin de ce roman nous amène 10 ans plus tard où l’on peut imaginer l’ampleur des dégâts engendrés par les réseaux sociaux…
L’auteure dit dans Match : « C’est prévisible que d’ici quelques années les jeunes youtubeurs auront des séquelles et même des revendications. Aux USA, un jeune homme a porté plainte contre ses parents. Passer son enfance à tourner des vidéos ultra-consuméristes, d’éloge de la malbouffe, de mon point de vue, ça laisse des traces. On est le seul pays qui a légiféré sur ce sujet. Mais est-ce que la loi peut arrêter l’époque ? »
Grande question évidemment. A voir l’évolution et à ouvrir l’œil sur des dérives que l’on peut constater…