lundi 2 mars 2020

Blandine de Caunes : La mère morte (N°1 - Fev 2020)




Blandine de Caunes : La mère morte - 2020, Ed. Stock - témoignage

 Dans ce livre, Blandine de Caunes « réussit à dire sans fausse pudeur ni langue de bois l’Indicible » (Lire) : en peu de temps en 2016, elle perd brutalement sa fille Violette et sa mère Benoîte Groult, la « commandeuse », intellectuelle et militante féministe et romancière (Ainsi soit-elle) dans les années 1960, avec qui elle avait une relation fusionnelle, après l’avoir accompagnée dans sa lutte contre la maladie d’Alzheimer durant 2 ans. Elle dit dans une interview : « J’avais besoin d’éloigner toute cette douleur. J’ai écrit pour moi, bien sûr, mais aussi pour Violette et pour maman, pour qu’elles continuent à vivre dans ce livre » (ELLE)

Deux parties dans ce récit :
Dans la première, l’auteur nous décrit la lente dégradation de Benoîte Groult, les signes et les étapes de ce glissement vers l’inconscience : « c’est terrible de la voir perdre la main sur sa vie ». Ceux qui ont lu le livre « Journal d’Irlande, carnets de pêche et d’amour, 1977-2003 » de Benoîte Groult mais éditée après sa mort par sa fille Blandine, comprendront encore mieux le lien intime qui unissait Benoîte Groult à ses filles et la force de caractère et l’amour de la vie dont elle faisait preuve. Ceux qui ont vécu auprès d’un proche atteint de cette maladie retrouveront tous les sentiments atroces et les épreuves violentes que l’on peut vivre alors. Voici quelques réflexions de l’auteur : « Nous sommes entrés dans le pays des mensonges » (que n’invente pas l’auteur pour tranquilliser sa mère). « Ils sont peu nombreux ceux qui ont envie de passer quelques jours avec elle », en effet il ne reste que les « vrais fidèles ». « Combien il est difficile de devenir la mère de sa mère »… L’auteur a la chance de si bien s’entendre avec sa sœur, Lison, sur tous points au sujet de leur maman, jusqu’au jour si émouvant où elles décident d’aider leur mère à mourir, respectant ainsi les dernières volontés de celle-ci qui avait milité pour le « droit de mourir dans la dignité » (dans un livre écrit en 2006 ‘la touche étoile’ et dans son journal intime).
La deuxième partie est d’une violence et d’une force incroyable : la fille de l’auteur, Violette, naturopathe, meurt à 36 ans le premier Avril 2016 dans un accident de voiture : « Zélie, ma petite fille est orpheline de mère, je suis quoi ? il n’existe pas de mot… ». En effet comment exprimer ce chagrin et cette souffrance ? Après les jours terribles de l’enterrement où elle est entourée merveilleusement par une famille soudée (sœurs, nièces : c’est une famille de femmes fortes), elle rentre dans la vie d’après, « le cœur brisé et mutilé ». Elle décrit avec justesse et sincérité ses sentiments « au plus juste, donc au plus âpre, au plus rêche » (Télérama). Elle dit : « J’ai perdu le 1er Avril ma fille unique et, le 20 juin, ma mère unique. Maman est un mot qui a disparu de ma vie. Je ne le dirai plus et je ne l’entendrai plus ». Sublime hommage à sa maman quand elle écrit : « C’est maman qui m’a aidée à surmonter la mort de Violette, maman et son goût forcené pour la vie ».
Témoignage bouleversant à lire et relire selon les circonstances de notre propre vie… « Ce récit est un cri de douleur et de révolte mais c’est aussi, et surtout, une poignante histoire d’amour et de transmission entre trois générations de femmes, une tribu singulière » (Fémina). « Blandine de Caunes signe un ouvrage poignant où la vie et la mort s’entrelacent dans une alchimie aussi singulière que cette famille est extraordinaire » (ELLE).




Audur Ava Olafsdottir : Miss Islande (N°2 - Fev 2020)


 


Audur Ava Olafsdottir : Miss Islande -  2019, Ed Zulma - roman traduit de l'islandais.

 

J’avais particulièrement aimé le BEAU livre de cette auteure islandaise, « Rosa Candida », paru pour la rentrée littéraire 2010, dont le héros était passionné de roses et de jardins et était un père plein de tendresse pour sa petite fille, pour lequel elle avait obtenu le Grand Prix des lectrices de Elle et était finaliste du prix Fémina.
On retrouve dans ce roman-ci, l’univers particulier de cette auteure et ses personnages « à part » bien qu’ici l’atmosphère soit plus sombre et plus mélancolique. Elle a reçu pour ce roman le Prix Médicis Etranger.
Dans les années 1960, son héroïne islandaise Hekla veut devenir écrivaine et met l’énergie d’un volcan, comme celui dont elle porte le nom, pour y parvenir : « elle bouillonne d’énergie et ne cesse d’écrire ». Elle quitte sa ferme natale à 21 ans pour la capitale Reykjavik. Elle y débarque avec quelques manuscrits et sa « Remington ». Une femme qui écrit à peu de chance de réussir dans la « société gelée » de cette ville en 1963. Et on lui propose plutôt de tenter sa chance à l’élection de Miss Islande, « une jolie fille comme vous » !!! Même son amant, Starkadin, poète en herbe, lui offre pour son anniversaire, un livre de recettes de cuisine. Elle retrouve dans cette capitale des amis chers : Isey, son amie d’enfance, qui, après l’espoir de devenir écrivaine, se retrouve mariée avec deux enfants en bas-âge dans une vie « rétrécie » à 22 ans ( description merveilleuse de la « vie ordinaire » de cette jeune femme) et Jon John, un grand ami métis et homosexuel avec qui elle a une relation particulière, qui,  après l’espoir de créer des costumes pour l’opéra, se retrouve marin sur des bateaux de pêche avec le mal de mer en compagnie de collègues brutaux et avinés.
Mais comment peuvent-ils lutter dans ce pays d’hommes, « patriarcal et conservateur ». Va-t-elle réussir à s’affranchir et à réaliser ses rêves, à être libre et créatrice ?
Cette auteure a une écriture pure, sobre et poétique, « toujours à sa manière douce et subtile » (la Croix). Elle transmet beaucoup d’émotions et soulève beaucoup de sujets de réflexion comme la réalisation de soi, le féminisme, l’amour, l’homosexualité dans les années 1960 en Islande.

Christian Bobin : Pierre, (N°3 - Fev 2020)

Christian Bobin : Pierre, - Galliamard, 2019 - texte

 

C’est une lettre qu’écrit Christian Bobin au peintre Pierre Soulages, grand ami de l’auteur, qui fait comprendre dans ce portrait du peintre que « son œuvre est pour lui un appel à la résistance » (la Croix).
Nous assistons à un rêve de l’auteur qui s’imagine faire le trajet en train, le soir de Noël 2019, entre La Creusot et Sète pour arriver à la maison de son ami pour lui fêter ses 100 ans, (il est né le 24 décembre 1919), maison à côté du cimetière marin de Sète où sont enterrés Paul Valéry et Georges Brassens. (D’ailleurs cette année pour ce centenaire, beaucoup d’hommages seront rendus au peintre : ne pas oublier l’exposition au Musée du Louvre et au Centre Pompidou)
Tout au long du voyage, « souvenirs, sensations et fantômes refont surface » (France Inter) et l’    auteur nous invite à une méditation sur la vie et la mort, la beauté, la douceur, la délicatesse. Par petites touches il nous dévoile ses rapports avec ce grand peintre, maître de la peinture abstraite, inventeur du « noir-lumière » et de l’« outrenoir » et il nous fait comprendre son admiration sans limite pour ce grand peintre. Télérama écrit : « L’éclat du jour s’accroche aux stries creusées dans la matière, fait briller les mats, se perd dans les crevasses, rebondit sur les reliefs, dans une vibration infinie ».
Christian Bobin est écrivain, poète et enchanteur. François Busnel le place « au plus haut de la littérature contemporaine » et lui a rendu hommage lors de la présentation de son livre « La nuit du cœur » de 2018 qui se passe à l’Abbatiale de Conques où se trouvent les vitraux de Pierre Soulages.