vendredi 26 octobre 2018

Benoîte Groult : Journal d'Irlande (N°1-Oct 18)

livre journal d'irlande ; carnet de peche et d'amour, 1977-2003 

Benoîte Groult : Journal d'Irlande - Grasset, 2018 - récit biographique. 

 Les sous-titres donnent les détails de ce « journal » : Blandine de Caunes, fille de Benoîte Groult, a eu la bonne idée de réunir dans ce livre les journaux intimes de sa mère et ses carnets de pêche en Irlande de 1977 à 2003. Elle nous écrit une magnifique préface en hommage à sa mère. Certes nous saurons chaque jour le nombre de crustacés pêchés… mais nous nous régalerons des réflexions succulentes de Benoîte Groult sur sa vie, ses états d’âmes, son vieillissement, sans aucune concession. Quelle femme ! Son humour, sa lucidité, sa franchise, son auto-dérision sont incroyables.


Nous partons donc avec elle en Irlande en Camping-car pour acheter une maison (en l’occurrence ce sera un terrain pour construire une maison) dans le Kerry. Son mari Paul Guimard et elle ont un véritable coup de foudre pour cette « île des granits et des fous »…et sont tous les deux amoureux de la mer et du bateau et acharnés de pêche.
Cela nous vaut des descriptions magnifiques des paysages avec les arbres penchés,  les tempêtes incroyables, les pluies et le « drizzle » (crachin typique de l’Irlande) et les trombes d’eau… mais aussi les éclaircies d’une lumière incroyable, les maisons basses, la mer avec ses îlots, le goémon, les charrettes de tourbe et de varech etc… et aussi de longues énumérations quasi journalières du tableau de pêche : crabes, bouquets, écrevisses, langoustes, tourteaux, palourdes, bigorneaux, étrilles, crevettes, homards, oursins, pétoncles, turbots, lieus, trouvés dans les casiers, les haveneaux et trémails.
Nous suivons la vie de Benoîte Groult au jour le jour durant ses mois d’été passés en Irlande durant 23 ans. La vie avec son troisième mari, Paul Guimard, qui vieillit plus vite qu’elle mais refuse d’arrêter de fumer et de boire du whisky. Elle dit cette phrase que je trouve belle: « C’est reposant de ne plus aimer ou plutôt de ne plus être amoureuse » mais aussi la vie avec son amant américain, Kurt, rencontré en 1945 et retrouvé dans les années 60, qui venait souvent en l’absence de Paul mais avec son accord : « Cette sensation d’être aimée à la folie vaut toutes les crèmes de jouvence ». Ils vivent « une intense passion charnelle ».
On peut être surpris de voir tant d’ « amis » leur rendant visite : sa sœur Flora et son mari, Michel Déon, Jean-Loup Dabadie, François Mitterrand, les Badinter, Eric Tabarly, Regis Debray. « De chacun elle dresse des portraits saisissants de justesse et, parfois, de rosserie »
Chaque page amène une réflexion drôle, étonnante, bouleversante, originale de cette femme éprise de liberté.
A lire absolument par toutes les femmes d’un certain âge !!!!!

Eric Fottorino : Dix-sept ans (N°2 - oct 18)


 livre dix-sept ans


Eric Fottorino : Dix-sept ans - Gallimard, 2018 - roman

Eric Fottorino, ancien directeur du Monde et co-fondateur de la revue « 1 », apporte ici « une pièce manquante de sa quête identitaire ». Après les deux livres touchants sur son père biologique et son père adoptif (L’homme qui m’aimait tout bas et Question à mon père), il déclare tendrement son amour (tardif) à sa mère, qu’il appelle Lina, petite maman, petite mère. « L’histoire de mes origines aura occupé mon existence » dit-il dans une interview à l’Express.
Il déclare aussi que c’est un roman partant de faits réels ce qui lui donne la liberté d’inventer, de créer, de renaître… On imagine que ses rencontres avec le psychologue, avec l’amie de sa mère sont  fictives…Son histoire familiale se transforme en matériel romanesque.
Quatre parties pour ce récit qui commence par « un dimanche de décembre » durant lequel Lina révèle un terrible secret à ses fils après le déjeuner familial.
Cette révélation va le « scier », dit-il et il raconte qu’il a écrit 11 versions de ce livre. A la 7ème écriture, il apprend ce secret et fera encore 4 versions pour nous livrer ce roman
Les deuxième et troisième parties se nomment « Dans l’avion pour Nice » et « Je ferai comme si » : en effet il part sur les traces de sa mère, qu’il n’a jamais cherché à comprendre, quand elle avait 17 ans, qu’elle avait été envoyé à Nice pour le mettre au monde : quels endroits fréquentait cette ado lorsqu’elle était, enceinte de lui, son premier enfant illégitime : comment était-elle ? « En faisant son enquête il retisse ce lien familial qu’il s’est toujours empêché de sentir » (ELLE) : regrets, incompréhension, peur qu’il a toujours ressentis…Il n‘a jamais su communiquer avec sa mère « Je me sens infirme, handicapé dans l’expression de mes sentiments pour elle ». Magnifiques moments dans cette ville de Nice où nous le suivons de révélations en révélations toujours plus émouvantes, touchantes, intimes et explicatives de son comportement.
En dernière partie « On s’est laissés glisser », nous le retrouvons avec sa mère à Nice : l’auteur a découvert une femme blessée qui malgré tout a tenté de faire de son mieux et maintenant qu’elle est âgée, il découvre une femme courageuse, aimante, mais qui, comme lui, a du mal à exprimer ses sentiments. Très belle dernière partie et fin de ce roman qui semble bien véridique lorsqu’on voit l’émotion de l’auteur parlant de ce récit à l’émission La Grande Librairie.

Aseline Dieudonné : La Vraie Vie (n°3 - oct 18)


 livre la vraie vie


Adeline Dieudonné : La vraie vie - L'Iconoclaste, 2018 - roman - Prix du roman FNAC 2018.

 

Adeline Dieudonné vient de recevoir le Prix du Roman FNAC 2018 avec ce livre de pure fiction (ce qui devient rare). Cette jeune belge de 36 ans nous montre une imagination débordante dans ce récit ou ce conte dans lequel se mélangent des faits réalistes et des effets magiques…
C’est une fille de 10 ans (et plus)  qui est le héros de l’histoire écrite à la première personne. Elle semble vivre dans une famille comme toutes les autres dans une maison, le Démo la nomme-t-elle, située dans un lotissement des années 1970, sans âme ni relief. Elle veille sur son petit frère, Gilles, de 6 ans car elle se rend compte des choses étranges qui se passent chez elle : sa  mère est quasi muette et inexistante devant un père violent, alcoolique, un monstre vicieux. Une chambre de la maison abrite des cadavres d’animaux empaillés provenant de la chasse du père (cerfs, hyènes, sangliers). Après avoir vu un accident grave, l’état psychologique de Gilles se dégrade : « il est habité par l’âme cruelle de la hyène naturalisée du père » nous dit l’adolescente. Elle va tout faire pour aider son frère et se sortir elle-même de ce cahot. « Elle refuse d’être une proie et choisit la vie à tout prix ». Elle est super intelligente, courageuse, énergique et sa révolte est admirable. Elle se croit soutenue par des dragons, par une voisine qu’elle considère comme une fée et par une machine à remonter le temps qu’elle a imaginée…C’est la métamorphose de cet enfant qui se bat qui est très bien vue par l’auteur. Le suspense des 70 dernières pages nous souffle : « éclatante angoisse et pur plaisir » de lecture (L’express).
Humour noir, émotion, suspense, style caustique rendent ce livre de pure fiction, original, très prenant, saisissant : « entre le tragique et la comédie, la poésie et la brutalité, Adeline Dieudonné vogue sans plonger dans l’horreur ou la mièvrerie » (Le Croix)