Philippe Claudel : L'arbre du pays Toraja - Stock, 2016 - roman français
L’arbre qui donne le
titre à ce roman se trouve en Indonésie et, selon un rite mortuaire, il
recueille les corps des enfants morts dans son tronc creusé. Le sujet du récit
est donc annoncé : l’auteur nous parlera de la mort, de la place de la
mort dans la vie mais aussi de la maladie, du temps, des souvenirs, des
remords….
Le héros de l’histoire
est un cinéaste quinquagénaire dont le meilleur ami et aussi son producteur est
atteint d’un « vilain cancer ». Toute l’évolution de la maladie sert
de trame au roman : les mots cancer, rémission, oncologue, longue maladie,
réveil de la tumeur, récidive apparaissent dans les lignes avec beaucoup de
pudeur.
La maladie d’Eugène
plonge le narrateur dans un immense chagrin et provoque chez lui une série de
réflexion sur le sens de la vie : « sur ce qu’est la vie, ce qui en
fait la force et la valeur » dit-il. Il voudrait répondre à la
question : « mais qu’est-ce que cela signifie profondément être
vivant ? ». Des souvenirs le submergent : le suicide d’un copain
d’internat, l’accident et la mort de compagnons d’alpinisme, la mort d’une
petite Agathe « mort-née » dont il est le papa et dont son ex-femme
ne s’est jamais remise.
Notre narrateur se pose
beaucoup de questions sur les raisons de la maladie et il cherche à en savoir
plus en enquêtant auprès d’une médecin, chercheuse au CNRS qui travaille sur la
somatisation. Cette jeune femme, Eléna, se trouve être sa voisine qu’il voit de
son bureau par « sa fenêtre sur cour ». Il regarde souvent « le
spectacle de sa vie » : ils deviendront amants et c’est le rayon de
soleil de ce roman car « il y a beaucoup de noirceur dans ces pages, mais
des noirceurs lumineuses » (Match).
Nous lirons des pages
magnifiques sur Eugène, sa voix, son langage, son amour pour les femmes et les
cigarettes Craven A, leur communication, leur profonde amitié, leur discussion
autour de bouteilles de Bordeaux, « la tendresse infinie » que le
narrateur éprouve pour son ami. (On reconnait à travers le portrait d’Eugène,
Jean-Marc Roberts, « le charismatique éditeur Stock », grand ami et
producteur de Philippe Claudel, décédé en 2013). Nous lirons aussi des passages
superbes sur l’enterrement d’Eugène, sur leur rencontre avec l’auteur mythique
Milan Kundera, sur les discussions avec Michel Piccoli qui jouera dans le film
de notre narrateur. Nous apprendrons à découvrir le « corps » au
cours de la maladie : le corps amical, le corps compagnon, le corps
hostile, le corps ennemi, le corps perdu, le tout magistralement expliqué par
Eléna. Nous lirons aussi deux portraits sensibles de femme, Florence, l’ex-femme
du narrateur et sa voisine-médecin, Eléna, qui sera sa maitresse.
Superbe livre
« fort » donc, où l’auteur se confond avec le narrateur et nous écrit
des pages profondes et émouvantes avec une écriture « élégante et
imagée ».
N’oublions pas que
Philippe Claudel est membre du Jury Goncourt depuis 2012, Goncourt qu’il n’a
jamais obtenu. Par contre il a reçu le
prix Goncourt des lycéens avec « Le rapport de Brodeck » en 2007 et
le prix Renaudot avec « Les âmes grises » en 2003. Chargé de cours
d’écriture scénaristique et auteur de divers scripts, il est passé derrière la
caméra en 2008 avec beaucoup de talent et de succès.