Nancy Huston : Bad girl - Actes Sud, 2014 - roman français.
Nancy Huston considère avoir été «un enfant fossoyeur de rêves»… et elle nous l'explique dans ce récit sa vie «avant soi» (c'est-à-dire dans le ventre de sa mère), en faisant des incursions dans le passé (la vie de ses parents et de ses ancêtres) mais aussi des rappels sur son enfance avec les situations hors-normes qui ont forgé l'écrivain actuel. «Nous ne tombons pas du ciel mais poussons sur un arbre généalogique»...
On
peut considérer ce récit comme autobiographique, l'auteur se
dissimulant à peine derrière le personnage de «Dorrit», le fœtus,
à qui elle adresse à la deuxième personne ce récit devenant comme
une lettre qu'elle écrirait à un double d'elle-même. On sait
qu'elle utilise le
tutoiement dans
beaucoup de ses livres.
Elle
analyse l'épisode qui a bouleversé sa vie: le départ de sa mère à
la demande de son père. Cette mère est belle, jeune, ambitieuse,
moderne et veut vivre SA vie mais on est en 1959 au Canada: elle va
accepter de partir, laissant à la nouvelle femme du mari le soin
d'élever ses enfants. Cet arrangement invraisemblable convient aux
adultes, le père laissant à la mère «un accès raisonnable» aux
enfants. L'enfant de 6 ans dit: «J'ai eu une enfance très heureuse
à partir de là» mais «comment ne pas se sentir nulle quand votre
mère vous quitte?»
La
belle-mère embarque l'enfant de 6 ans et sa petite sœur pour
plusieurs mois en Allemagne «première expérience de découverte et
d'apprentissage d'une langue étrangère, d'une autre culture, d'une
autre identité» nous dit l'auteur, chose qu'elle reproduira 14 ans
plus tard en venant vivre en France. Elle écrit d'ailleurs directement en Français.
Je
pense que le sous-titre «Classes de littérature» veut expliquer
qu'à partir de cet abandon, l'enfant se réfugiera dans les livres
et la musique ce qui l'amènera
à être «écrivain». «Nancy Huston met au jour les sources de ses
inspirations littéraires et de ses obsessions». Elle nous cite ses
meilleurs compagnons de route, les auteurs Annie Ernaux, Romain
Gary, Samuel Beckett, Virginia Woolf, Anne Truitt.
A
base de documents réels, dont les magnifiques lettres de son père,
l'auteur «effleure, gratte, creuse, donne les clés de ses romans
(comme l'importance du thème juif ou l'héritage d'une tante au goût
prononcé pour les histoires tragiques et met à nue la «Bad Girl»
en elle» (critique de La Croix)
Ce
livre est un véritable coup de poing tant l'écriture est poignante,
directe, sèche, même dure, avec de petites phrases, des chapitres
courts comme un appel au secours. L'auteur écrit qu'elle aime « voir
les mots se suivre, les paragraphes s'aligner, les pages s'empiler.
Relire, retravailler, corriger, améliorer»
On
retrouve les thèmes de l'abandon et de la maternité «avec des mots
qui vont droit au coeur» (ELLE).
Magnifique
autobiographie de cette auteur dont j'aime la plupart des livres.