mardi 18 mars 2014
Maylis de Kerangal : Réparer les vivants
Maylis de Kerangal : Réparer les vivants -Gallimard, 2014 - roman français.
Beaucoup d’éloges dans
la presse pour ce roman de Maylis de Kerangal « Réparer les
vivants ». Evidemment cette écriture particulière « dense,
concentrée, serrée » frappe de plein fouet par sa rapidité, par sa poésie, par son humanité, par ses longues phrases
haletantes qui semblent ne pas s’arrêter, par son agilité et par sa fluidité.
Mais comment l’auteur peut-il nous décrire la douleur des parents qui perdent
un enfant sans l’avoir vécu ? Je m’étais déjà posée la question en lisant
« Tu verras » de Nicolas Fargues (2011) alors que des récits
d’auteurs ayant vécu ce drame sonnent plus juste et plus profond….
Toujours est-il que
c’est un roman et que nous vivons dans ce livre au rythme accéléré d’une
transplantation cardiaque : 24 heures se passent entre la mort du jeune
Simon et la pose du greffon dans le corps de Claire.
Beaucoup de personnages
entrent en jeu avec chacun sa propre histoire, son passé et l’instant présent.
Le premier chapitre est
consacré à Simon : jeune surfer, il part avec des copains à l’aube dans
une camionnette « véhicule grimé en van californien » pour s’éclater
sur LA vague : « Il prend la première ride en poussant un cri…c’est
le vertige horizontal. Il est au ras du monde. » Simon vit intensément ce
moment. Ces quelques pages décrivent à merveille la mer, la plage, l’ambiance
du petit matin, le surf.
En rentrant, a lieu
l’accident. La violence du choc est pour Simon qui n’a pas de ceinture de
sécurité et il est déclaré mort cliniquement mais avec un cœur vigoureux qui
continue de battre.
Commence alors une
autre histoire et nous rencontrons successivement tous ceux qui sont concernés
par la mort de Simon.
Pierre Revol, médecin
dans le département de Réanimation médico-chirurgicale depuis 30 ans au Havre : « de
haute taille, efflanqué, thorax creux et ventre rond…quelque chose de délié et
d’incertain raccordé à une allure juvénile ». Il nous explique que depuis
1959 « l’arrêt du cœur n’est plus le signe de la mort, c’est désormais
l’abolition des fonctions cérébrales qui l’atteste », ce qui veut dire que
le cœur de Simon bat encore mais son cerveau ne répond plus. C’est un passage
très important du livre car c’est ce qui permet de faire des transplantations
cardiaques.
Rentrent en scène les
parents. Marianne est tétanisée : « c’est long le chemin jusqu’à
Simon. C’est pénible ces hôpitaux comme des labyrinthes ». L’annonce lui
est faite en plusieurs étapes : « votre fils est dans un état
grave » « Il s’agit d’un coma profond » « les lésions de
Simon sont irréversibles »…Elle retrouve son ex-mari, Sean, dans un
café : « déroutés, blafards, ils réalisent lentement la situation,
« ce cauchemar d’une magnitude inconnue ».
De retour à l’hôpital,
il rencontre Thomas Remige : c’est le coordinateur des prélèvements
d’organes. Pour lui, un patient en réanimation peut devenir un donneur. C’est
un personnage étrange, infirmier hors du commun dans ce choix de spécialité.
C’est lui qui parle de ce prélèvement aux parents : « trop dur, trop
complexe, trop violent », ils refusent puis, sans explication…, acceptent
un don d’organes.
S’ensuit une course
contre la montre. La tension monte : j’ai moins aimé cette partie plus
technique qui fait entrer en jeu encore un autre personnage original :
Virgilio Breva, étudiant d’exception, interne hors-norme, concentré, méthodique,
qui sera chargé d’opérer Simon, de prélever le cœur et de le ramener à la Pitié
Salpétrière.
D’autres personnages
sont décrits avec détails : l’infirmière, nouvelle dans ce service ;
Juliette, la petite copine de Simon ; la coordinatrice qui s’occupe du
protocole de répartition des greffons, puis Claire, celle qui va recevoir le
cœur de Simon.
Pour avoir vécu cette situation dans ma
famille, je peux vous dire que le receveur est beaucoup plus préparé
psychologiquement à aborder le Jour « J » tant attendu et n’est pas
laissé seul dans son coin sans aide morale….
Evidemment la question
primordiale de ce livre est la douloureuse question de don d’organes : le
corps a t-il une valeur ? Pourquoi le cœur, les reins, les poumons et pas
les yeux ? Chaque religion aborde cette question différemment mais ce
livre aura au moins le mérite de nous faire réfléchir à cette question.
La belle écriture
originale de l’auteur fait apprécier cette lecture : « une vibration
intense agite tout le livre, une pulsation cardiaque rythme le texte
entier ». Mais je ne me suis pas laisser séduire…
Christian Signol : Tout l'amour de nos pères
Christian Signol : Tout l'amour de nos pères - Albin Michel, 2013 - roman français
Tous les fans de Christian Signol
vont, dans ce livre, trouver tout ce qu’ils aiment de cet auteur « du
terroir » « du cru » (il a horreur qu’on l’appelle
ainsi !!!).
Il nous livre ici une saga qui se
passe en Dordogne de la fin du XVIIIème siècle
jusqu’au XXème siècle : il part d’un peu loin cette fois, diront
certains critiques…
Pierre est le fondateur
de la dynastie, un grognard de Bonaparte qui, avec le pécule rapporté de
la guerre, achète une maison et des terres. Il devient médecin et ses
descendants ou leurs conjoints seront tous médecins.
Chacun des héritiers tient un journal en
racontant son histoire, en témoignant de son combat pour préserver le domaine
et venir en aide aux familles des alentours. Ils devront lutter contre les
événements, les guerres et la malédiction de perdre à chaque génération le fils
aîné…. « Ils relatent les joies, les contraintes et les peines des
générations qui se sont succédé dans le domaine familial »
Avec cette belle évocation
de la France des campagnes, Signol confesse qu’il s’arrêtera bientôt :
« Le moment vient où l’on a écrit tout ce que l’on avait à écrire »
dit-il.
Beau roman du terroir
et belle fresque historique et chronologique de la vie en France.
Françoise Héritier : Le Goût des mots
Françoise Héritier : Le Goût des mots - Odile Jacob, 2013 - Essai.
Dans son précédent
opuscule « Le sel de la vie », Françoise Héritier nous faisait une
longue liste de ces moments qui font le sel de notre existence.
Dans « Le goût
des mots », elle nous invite à jouer avec les sens en percevant les
mots : il faut les toucher, les entendre, les sentir, les goûter, les
voir, les décortiquer et leur donner une interprétation, jouer avec les
voyelles, les consonnes, les syllabes. Laissons- nous aller et exprimons les
sensations que les mots ou les expressions font naître en nous :
Quelques mots :
brandebourg, dactyloptère, épithalame, janissaire, pagnoterie, urquain, yeuse,
zinzolin ?????
Quelques
expressions : Mon sang n’a fait qu’un tour, rire à gorge déployée, tailler
une bavette, se démener comme un beau diable, en mettre plein la vue, avoir une
tête de papier mâché…
26 pages d’expressions
nous font sourire, esclaffer, rire, réfléchir, nous sidèrent, nous étonnent,
nous renvoient à des couleurs, des odeurs, des sensations, des saveurs, des
émotions.
Un petit régal de
lecture que ce petit opuscule qui nous oblige à faire marcher notre
imagination.
Françoise Héritier est
une anthropologue réputé, professeur au Collège de France. Elle a
particulièrement étudié la Femme au cours des siècles et a écrit avec des
collègues « La plus belle histoire des femmes » (au Seuil, 2011)
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