Sorj Chalandon : Le quatrième mur - Grasset, 2013 - roman
Sorj Chalandon, ancien
grand reporter, m’avait enthousiasmée par deux de ses romans : « Mon
traitre » (2008) à propos de son meilleur ami nord-irlandais dénoncé comme
informateur des Britanniques puis exécuté par des dissidents de l’IRA, puis « Retour
à Killybegs » (grand prix de l’Académie française en 2011) dans lequel il
inventait les « mémoires » de son traitre. Puis j’avais eu la chance
de le rencontrer et de discuter avec lui à une table ronde de 10 personnes au Salon
du livre 2011 : la classe, la gentillesse, la franchise et beaucoup d’émotions
en parlant de son traitre qui était même le parrain d’un de ses enfants….
Ce roman se passe au
Liban en pleine guerre où l’auteur a été reporter. Il nous captive avec le
projet de représenter « Antigone » d’Anouilh sur place à
Beyrouth. « Je voulais, dit-il en interview, que mon héros ne soit pas un
combattant » d’où l’idée qu’il soit metteur en scène et qu’il monte cette
pièce de théâtre qui parle d’engagement, d’ordre, d’autorité. (Cela donne envie
de relire cette magnifique pièce de théâtre…)
Son héros, Samuel, un
juif grec réfugié à Paris, metteur en scène, tombe malade au moment de partir
au Liban pour monter cette pièce et fait promettre à son ami, Georges, metteur
en scène aussi, de le remplacer pour mener à bien ce projet… Georges veut
accomplir cette promesse faite à son mentor et ira jusqu’au bout de ses
possibilités, quitte à en perdre la raison… Pour lui, cette représentation
serait un moment de répit, un instant de grâce d’autant qu’elle serait jouée
par des comédiens palestiniens, maronites, chiites ou arméniens… Georges part
début 1982 à Beyrouth, délaissant sa femme et sa fille et tente ce pari
utopique : il va découvrir autre chose que l’amitié qu’il imaginait
possible entre des comédiens de toutes obédiences : la guerre, la violence,
les bombardements et surtout le massacre des réfugiés palestiniens des camps de
Sabra et Chatila dans la banlieue ouest de Beyrouth. L’auteur était à Chatila
au moment de ce massacre et lorsqu’il écrit sur cette tuerie quelques temps
après, il confie « J’écrivais en respirant l’air lourd du lieu. Tout était
intact : la lumière, les regards, les cris, les pleurs, les grillons, les
abeilles, le vent, le silence » : il faut avoir vécu ces drames pour
pouvoir les décrire comme il le fait : bouleversant.
Le retour de Georges
exprime bien « le fameux traumatisme post-guerre » que l’auteur dit
avoir ressenti. Comment assumer le décalage entre sa vie de famille et d’amis
et les horreurs de la réalité de la guerre.
L’écriture de Sorj
Chalandon est telle qu’il nous fait ressentir la tension, l’horreur et l’absurdité
de ces combats : « C’est le Liban qui tire sur le Liban »
écrit-il. « Cette tentative fantasque et fantastique nous fait mieux
comprendre le Moyen-Orient que les meilleurs essais » dit un critique du
Figaro.
« Ecriture sèche
et hallucinée » (La croix), phrases courtes, bien construites, pas de « faux-semblants » :
tout est fait pour nous tenir en alerte. « Magnifique et désespéré »,
« Le quatrième mur » est le récit d’une utopie et une ode à la
fraternité » Télérama. C’est surement aussi un moyen pour l’auteur de dire
et d’exprimer sa propre douleur.
On n’en sort pas
indemne et ce récit hante longtemps la mémoire !!!
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