mercredi 27 novembre 2024

Philippe Collin : Le barman du Ritz (N°3 - dec 2024)

Le Barman du Ritz - 1

Philippe Collin :  Le Barman du Ritz - Albin Michel, 2024 - roman

Philippe Collin est d’abord un Homme de radio (France Inter). Il se lance ici dans son premier roman, dont le héros, Frank Meier (1884-1947) fut barman du Ritz depuis 1921 et particulièrement dans ce livre pendant l’occupation de Paris de 1940 à 1944. « Le parcours d’ascension sociale, l’arrachement à ses racines sociales, religieuses et géographiques pour s’accomplir » de cet homme l’ont touché. C’est après avoir discuté avec le « bartender » actuel du Ritz que l’auteur se lance dans les recherches sur Meier : ses origines juives, son séjour de Barman à New-York, son engagement dans la légion étrangère en 1914, ce qui lui vaut la nationalité française et son travail au Ritz, la période d’occupation de 1940 à 1944.

Nous découvrons dans ce roman Frank Meier, (photo en fin de livre) barman extraordinaire et célèbre pour ses cocktails, « toujours sur ses gardes », à l’écoute discrète de tout, faisant preuve d’« un sang-froid de diplomate » et qui a acquis la réputation « du meilleur barman du Monde. « Attaché à préserver ses secrets, au premier rang desquels sa judéité, Meier joue la comédie du flegme en se méfiant de chacun cependant que s’aiguisent, au fil des mois, ses interrogations sur son propre comportement » (Le Monde)

Il rencontre, derrière son bar réquisitionné en 1940, des nazis, des collabos, des occupants : « Me voilà coincé dans le nid des boches » « Sourire aux boches, ça ronge de l’intérieur » mais il sert aussi des résistants, des attentistes, des aristocrates, des artistes comme Cocteau, Arletty ou Sacha Guitry qui gardent leurs habitudes. Et aussi il protège le jeune Luciano qui travaille avec lui, Blanche, la femme du patron qui s’oppose à Madame Ritz, veuve du propriétaire de l’établissement. Comment jongler entre tous ces mondes : « Meier n’est ni collabo, ni tout à fait résistant. Il rend service tout en restant dans cet entre-deux-monde inconfortable » (La Croix).

Ce roman est servi d’une très belle écriture et l’idée d’entrecouper les chapitres écrit à la troisième personne sur la vie du Ritz entre 1940 et 1944 et des passages issus du journal fictif du Barman est géniale.

Très bon moment de lecture pour tous.

Gaël Faye : Jacaranda (N°2 - Dec 2024)

Jacaranda - 1

 Gael Faye : Jacaranda - Grasset, 2024 - roman 

 

On se souvient que Gaël Faye, écrivain, compositeur, rappeur a écrit Petit Pays en 2016, son premier roman qui connut un immense succès et remporta de nombreux prix dont le prix Goncourt des lycéens et fut adapté au cinéma. Il y racontait le terrible génocide, en 1994, des Tutsi au Rwanda dont sa mère est originaire.

Huit ans après, il vient de recevoir le prix Renaudot 2024 pour son deuxième roman Jacaranda, un « roman d’apprentissage poignant aux personnages particulièrement attachants ». Il revient  sur le génocide pour mieux nous raconter la reconstruction de son pays.

Le roman commence en France. En 1994, Milan, jeune franco-rwandais, vit dans un pavillon de Versailles avec sa mère lors de l’arrivée soudaine de Claude, garçonnet au crâne « méchamment entaillé ». Il arrive du Rwanda en plein génocide et y repart dès qu’il est soigné. La mère de  Milan ne lui a jamais rien confié de l’histoire du génocide et du traumatisme du Rwanda : il est donc très marqué par l’amitié qui va l’unir à Claude.

Quatre ans après, Milan  retrouve Claude à Kigali, capitale du Rwanda, où, pour la première fois, il vient avec sa mère. Claude, désormais rétabli, guide Milan dans la capitale qui découvre la brutalité des lendemains de guerre civile et le difficile chemin vers la réconciliation avec les procès, les condamnations les exécutions publiques ». Claude dit : « On vit avec les tueurs autour de nous et ça nous rend fous ». Grâce à Claude, Milan rencontre au Palais, lieu de rendez-vous des enfants des rues et des orphelins, Sartre, genre de grand frère protecteur de tous qui l’aidera beaucoup à comprendre le génocide et  ses suites. De ce jour, Milan fait des allers-retours entre la France et le Rwanda. Il y retrouve Claude, Sartre mais aussi Eusébie, sœur de sa mère, et sa fille Stella, qui enregistre les récits de la mémoire intacte de sa grand-mère (témoignage poignant).  Gaël Faye écrit ainsi  l’histoire du Rwanda sur 4 générations et raconte les raisons et les effets du silence sur tous.

 Quelques chiffres : un cinquième de la population du pays a participé au génocide ; près de trois quarts de la population actuelle est né après le génocide donc le pays est extrêmement jeune.

L’écriture de cet auteur est très fluide, « sa plume est incisive et épurée ». On y ressent l’habileté d’un rappeur. Il a l'art de faire dialoguer ses personnages magnifiques et l'art du détail qui touche.

En conclusion je cite ce message écrit dans « Fémina » : "S’il explore les douloureux stigmates de la guerre, Gaël Faye parvient aussi à insuffler de l’espoir et à distiller de la lumière grâce aux notions de pardon, de résilience et de transmission générationnelle qui enrichissent ce livre sensible et touchant ". (Fémina)

Evidemment ce récit est étroitement inspiré de la vie de l'auteur qui vit désormais entre la France et le Rwanda avec sa femme et ses enfants.

 

Amélie Nothomb : L'impossible retour (N°1 - Dec 2024)

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Amélie Nothomb : L'impossible retour - Albin Michel, 2024 - roman

Onze ans après son dernier voyage au Japon, (« mon pays préféré au monde, ma terre sacrée » dit l’auteur), Amélie Nothomb y retourne  en mai 2023 avec son amie inénarrable, la photographe Pep Beni avec ses tocs et ses lubies qui égaillent ce texte… Elles partent « comme deux bourgeoises en goguette » … mais le Pays du Soleil Levant semble méconnaissable à l’auteur et elle y trace son chemin au gré des souvenirs avec la nostalgie qu’elle ressent dès qu’elle revient sur une terre connue.

 Elle y a vécu son enfance et grandit puis  elle y fut étudiante puis  elle est retournée pensant pouvoir y vivre, cette idée s’avérant un échec, Amélie Nothomb  s’est livrée sans concession sur ce retour « sinon impossible du moins introspectif ».

 Dans ce pays, Amélie Nothomb se souvient avec émotion de son père (décédé au début de la pandémie du covid) : « C’est la figure paternelle qui réapparait comme une ombre, un guide » (La Croix). Elle écrit aussi : « Faut-il revenir là où nos souvenirs sont les plus beaux, au risque de les déformer ».

On se régale de son style inimitable pour décrire ce voyage empreint de lenteur, de méditation, de ce besoin d’admiration, de démesure, de fantaisie qui caractérise cette auteure. Elle nous surprend encore et toujours et nous touche profondément.

A lire absolument