mardi 23 novembre 2021

Anne Berest : La carte postale (N°1 - nov 2021)

La carte postale

 Anne berest : La carte postale - 2021, Grasset - roman

 

Anne Berest est l’auteur de plusieurs romans, scénariste de la série Mytho sur Arte, a aussi écrit un livre avec sa sœur Claire « Gabriëlle »,( femme de Picabia et muse du Tout-Paris surréaliste en 1930).

Ici elle se plonge dans une enquête sur la vie de ses ancêtres : en 2003, une carte postale anonyme arrive chez la mère de l’auteure, Leila. Sur la carte : quatre prénoms, ceux des grands-parents de Leila et deux de leurs enfants. Y manque le nom de la mère de Leila, Myriam, la grand-mère de l’auteur. Les quatre personnes écrites sur la carte  sont décédées à Auschwitz en 1942.

Pendant trois ans, Anne Berest et sa mère font des recherches sur l’origine de cette carte (écriture, lieu d’envoi, pourquoi l’Opéra Garnier sur cette carte). Les chances sont faibles d’éclaircir cette énigme et jusque la fin, le lecteur est tenu en haleine et enfin découvrir la vérité…

Leila est un personnage clef du roman car elle détient déjà beaucoup de détails de la jeunesse de ses grands-parents. Elle avait fait des recherches sur eux jusqu’à leur déportation en 1942 : sa mère, Myriam, juive, décédée en 1995, est née en Russie et enfant, en 1919, elle traverse la Russie, la Lettonie, la Palestine pour venir en 1929 avec ses parents, son frère et sa sœur en France, pays de rêve et de liberté. Ils s’installent en Normandie et se sentent intégrés tout en gardant à la maison les habitudes et les traditions juives. Myriam et sa sœur font des études supérieures et Myriam se marie avec un des nombreux enfants de Picabia, mariage qui lui sauvera la vie, la rayant de la liste des juifs du village.

Depuis 1942, aucune recherche ne fut engagée. C'est il y a trois ans que l’auteure enquête  à nouveau sur la suite de la vie de Myriam, sur ses deux mariages, sa vie de résistante, sa vie bâtie sur le silence…

L’auteur explique avoir écrit son livre au fur et à mesure de l’enquête : « Je n’ai pas construit le récit en connaissant la fin » dit-elle. Leila et l’auteure vont dans le village de Normandie, parlent aux voisins, visitent les maisons du village, rencontrent des témoins, prennent un détective, demandent des recherches à un expert graphologue, retournent au cabanon des vacances devenu ensuite la cache de Myriam pendant la guerre près du village où René Char avait implanté son QG de résistant.

Anne Berest construit formidablement son récit, fait revivre les voix, les pensées de ses ancêtres avec les parfums, les couleurs.

Le livre terminé, des flashes assaillent le lecteur : les scènes horribles de Birkenau, le chaos des retours au Lutétia à la libération, les risques pris par les résistants, la confiance de cette famille juive à la France et bien d’autres…..

Excellent livre original dans sa construction d’une très belle écriture

 

Dominique Bona = Divine Jacqueline (N°2 - Nov 2021)

 Divine Jacqueline

Dominique Bona : Divine Jacqueline - 2021, Gallimard - Biographie

Le 23 Octobre 2014, Dominique Bona a été la huitième femme à entrer à l’Académie Française, superbement habillée selon les règles mais dans une tenue « Chanel haute Couture » quand même….Dominique Bona est une critique littéraire très reconnue et appréciée et un écrivain que j’aime beaucoup pour ses biographies dans lesquelles elle nous fait découvrir le côté intime et caché de ses personnages. Elle dit d’ailleurs cette phrase amusante : « J’ai arrêté d’écrire des fictions quand j’ai compris que la vraie vie est infiniment romanesque. La réalité dépasse presque la fiction. Ecrire des biographies me permet de vivre d’autres vies que la mienne ».

Dans ces livres, elle nous livre en quelque sorte « un secret de fabrication mais aussi on la découvre elle-même : elle nous révèle comment elle se glisse dans la peau du personnage dont elle écrit la biographie et nous donne « sa vision  de l’art, de la littérature, de la famille, de la nature humaine, des émotions, des espoirs et des peines » (La Croix).

Elle met aussi les choses au point : le biographe doit faire appel à son code d’honneur : ne rien inventer : « détourner le cours de la biographie vers le roman serait pour moi un péché capital »…bien qu’elle aurait aimé plusieurs fois « déduire » une vérité et inventer des couples aléatoires et des énigmes mystérieuses.

C'est la première fois que Dominique Bona  écrit une biographie sur quelqu'un de vivant avec qui elle a eu des entretiens car Jacquelines de Ribes a accepté que l'auteure fasse d'elle "un portrait en liberté". De plus "Jacqueline de Ribes se raconte trés bien et elle m'a aussi ouvert ses archives" dit l'auteure puis "J'ai voulu dessiner le portrait d'une femme et celui d'une époque".

Jacqueline est née en 1929. Après une enfance délaissée par ses parents, la jeune fille demande à visiter les ateliers Dior, d'où lui vient sa passion pour la mode. Elle crée ses propres toilettes "sophistiquées et guindées", étant douée pour les travaux manuels. Elle est régulièrement élue femme la plus élégante du monde, reine de Paris Ville Lumière. Elle fréquente tous les bals de la "Café Society". Admirant Saint Laurent et Gautier, ayant un grand esprit de perfection et un sens inné du travail bien fait, elle crée sa propre maison de couture en 1983. "Figure de la Jet-Set des années soixante, amie des plus grans couturiers, elle est devenue une icône du style et un symbole de l'élégance française" et elle obtient une reconnaissance internationale. On découvre des images et des anecdotes sur la société des arts et des lettres de l'époque entre élégance, raffinement et beauté.

La décadence de cette sociète est évidente et l'auteure dit : "Ce destin, qui voit s'achever l'ancien monde et apparaître de nouveaux codes, des innovations stupéfiantes, j'ai tenté d'en déchiffrer l'énigme"

Découverte, donc, de ce monde incroyable mais disparu, dans cette biographie passionnante et captivante (un peu de longueurs et de répétitions vers le fin du texte).

 

 

Gilles Clément : Notre-Dame-des-Plantes (N°3 - nov 2021)

Notre-Dame-des-Plantes

 Gilles Clément : Notre-Dame-des-Plantes - 2021, Ed. bayard (collection "grand ouvert") - rêverie

Gilles Clément, écrivain, jardinier, paysagiste, botaniste, imagine une autre manière de reconstruire Notre-dame de Paris. Il rêve d'y planter des arbres, des fleurs, des herbes...

Un dialogue s'instaure entre une herbe folle (lui, en l'occurence), herbe "libre et insolente, convaincue que la beauté du monde végétal a sa place dans cette architecture gothique" et le préposé aux Affaires Sacrées (PAS).

Il ferait d'abord un "jardin d'approche" sur le parvis puis l'intérieur de la cathédrale serait "une serre syrienne" où l'on planterait la vigne du vin de messe... puis à  l'arrière, on laisserait "une friche armée" avec des herbes folles...

Plusieurs esquisses à l'aquarelle et dessins illustrent ce projet utopique, certes, mais magnifique et écrit avec tant d'humour, de gaieté. L'auteur "met en lumière combien le végétal nous enseigne sur la gratuité, le partage, la fragilité et l'espérance" (la Croix).

Petit bijou de lecture que cet ouvrage "iconoclaste et printanier, utopique et questionnant".