Mario Vargas Llosa : Le paradis - un peu plus loin - Gallimard, 2003 puis en Poche, 2005 - roman de deux biographies
Depuis que Mario Vargas
Llosa a été lauréat du prix Nobel de Littérature en 2010, je voulais relire un
de ses livres (j’avais lu « Lituma dans les Andes » écrit en 1993,
roman assez difficile et noir qui se passe au fin fond du Pérou). Cet auteur a
reçu le prix Nobel pour « sa cartographie des structures du pouvoir et ses
images aiguisées des résistances, révoltes et défaites des individus »….
(tout un programme)
Ce roman « El
Paraiso en la otra esquina » a été écrit en 2003 alors qu’il vit en
Espagne depuis 1993 et il reconnaît qu’il se sent espagnol autant que péruvien.
Il déclare lors de sa conférence le 7 décembre 2010 en tant que lauréat du prix
Nobel : « J’aime l’Espagne autant que le Pérou et ma dette envers
elle est aussi grande que l’est ma gratitude. Sans l’Espagne, je ne me
trouverais pas aujourd’hui à cette tribune ». Il dit avoir été énormément
influencé par Balzac pour la densité de son observation sociale.
« Ses récits sont
identifiables par un jeu sur la structure, la chronologie et la pluralité des
narrateurs » dit un critique : c’est un double récit : un
chapitre sur chacun à tour de rôle, le titre aidant bien dans les dates.
Beaucoup de « flash-backs » nous renseignent sur l’enfance et la vie
de nos deux héros. En effet dans ce livre, il nous romance deux
biographies : la vie de Paul Gauguin et la vie de sa grand-mère Flora
Tristan, deux destins incroyables, deux personnages hors du commun.
J’ai lu rapidement la
vie de Flora Tristan (1803-1844) : c’est une biographie à tendance roman
historique. Le tour de France de cette militante féministe et ouvriériste est
surprenant. L’auteur nous brosse le portrait d’une femme extraordinaire,
impulsive, se battant pour ses idées humanistes, pour le droit des femmes à
divorcer, pour le droit du travail en début de 19ème siècle mais son
combat reste très « moderne et actuel ». Il dépeint de façon
magistrale la société de cette époque, toutes les classes sociales sont
étudiées et décrites. On sent beaucoup de recherches sur la société française
et la société péruvienne de l’époque. On fait en même temps une petite révision
des thèses de Saint-Simon, de Fourrier…
Je me suis beaucoup plus
passionnée pour la vie de Paul Gauguin (1848-1903). On s’attache à cet artiste
en prenant part à ses tourments, sa folie, sa manière d’aborder les gens et les
choses, sa façon d’être odieux ou sublime, d’être créateur ou poivrot et d’être
égoïste ou généreux. Le portrait de Gauguin est
exceptionnel : « yeux bleus saillants et mobiles, bouche
aux lèvres droites généralement froncées en une moue dédaigneuse et nez brisé
d’aigle prédateur ». Le récit commence en 1892 lorsque l’artiste décide de
partir à Tahiti. Il y est appelé « Koké » et la description de sa vie
là-bas est formidable : couleurs, senteurs, humidité, soleil, le faré, les
paysages : « Ce paysage à la luminosité si vive, aux couleurs si
nettes et contrastées, à la chaleur et aux rumeurs croissantes, sur le roulement
monotone de la mer » : on s’y croirait… L’auteur attire notre
attention sur les tableaux les plus connus, chacun ayant une raison d’être fait
à ce moment précis dans un état d’esprit particulier : en 1893
« Manao Tupapau » (l’esprit des morts veille), « Papa Moe »,
un auto-portrait peut-être, « Aïta Tamari vahiné » (la superposition
de deux nues), le tableau de sa vahiné peint dans un « halo
particulier » dans une atmosphère spectrale magique ou miraculeuse qu’il appellera
« Nevermore » car « la fille ne montrera plus jamais cet abandon
si spontané, cette nonchalance absolue » puis le tableau que le peintre
considère comme son testament artistique « Où sommes-nous, que sommes-
nous ou allons-nous » peint en 1897.
Des flashbacks nous
raconte sa vie bourgeoise et son mariage avec Mette, une danoise avec qui il a
eu 5 enfants, sa vocation soudaine, sa vie à Pont-Aven avec d’autres peintres,
sa vie donc à Tahiti, son retour en France
où l’auteur raconte le jugement des autres peintres sur ses oeuvres tel Pissaro, Degas, Van Gogh , son nouveau
départ pour Tahiti et son installation dans son faré aux îles Marquises…
Au cours de la lecture
de ce double récit, on se rend compte pourquoi l’auteur a
rapproché les deux héros : ils sont tous deux en quête d’une forme
de paradis qu’ils n’atteindront pas. Ils sont insoumis, en recherche de
liberté, individualistes et d’un caractère bien trempé !!!
J’ai beaucoup aimé le
style et l’écriture. Cette façon de mélanger la 2ème et la 3ème
personne, d’interpeller les héros par des surnoms, de les remettre en place est
assez originale et géniale et donne beaucoup de vivacité au texte.
A lire si on aime les
vies d’artistes et de personnages historiques.